CORONAVIRUS LI WENLIANG A DONNE L'ALERTE AU PRIX DE SA VIE

Li Wenliang a été donné mort jeudi par l'OMS et le journal du Parti communiste avant que le média d'État ne l'annonce dans un «état critique». L'hôpital l'accueillant a finalement déclaré son décès dans la soirée.

L'hôpital qui prenait en charge l'ophtalmologiste de 34 ans, qui avait été l'un des premiers en Chine à alerter sur le nouveau coronavirus avant d'être lui-même infecté par le 2019-nCoV, a annoncé sa mort, après plusieurs heures de confusion. L'homme est mort à 02h58 à l'hôpital central de Wuhan, selon un message de l'établissement sur le réseau social chinois Weibo.

«En luttant contre l’épidémie de pneumonie due au nouveau coronavirus, notre ophtalmologue Li Wenliang a malheureusement été infecté. Il est mort malgré tous les efforts que nous avons faits pour le ramener en vie. Nous sommes en deuil», a confirmé l’établissement, mettant fin à plusieurs heures d’incertitude macabre.

Après l'annonce de sa mort vendredi, sur le réseau social chinois Weibo, les messages d'hommage affluent « Il a donné l'alerte au prix de sa vie », « Vous étiez le rayon de lumière dans la nuit ».

Ce jeudi, l'OMS s'est dit sur Twitter «profondément attristé» par la mort de cet homme, poursuivant : «Nous devons tous célébrer le travail qu'il a accompli».

Lanceur d'alerte

Alors que la rumeur de l'existence d'un mystérieux virus se propageait à Wuhan en décembre dernier, Li Wenliang a partagé ses soupçons dans une conversation privée avec ses collègues diplômés de l'école de médecine via la messagerie chinoise WeChat dès le 30 décembre 2019. Le médecin a notamment indiqué que sept personnes semblaient avoir contracté une maladie semblable au SRAS - la maladie respiratoire qui s'est propagée en Chine et dans une douzaine de pays, et fait des centaines de morts au début des années 2000. «Un patient a été mis en quarantaine» dans l'hôpital où il travaillait à Wuhan, écrivait-il, selon le Washington Post , exhortant ses collègues à «faire attention».

Arrêté pour avoir « répandu des rumeurs »

Mal lui en a pris. Li Wenliang et sept autres médecins présents dans le groupe privé où ils discutaient ont été convoqués par les autorités chinoises et visés par une enquête pour avoir « répandu des rumeurs » et « perturbé gravement l'ordre social », le 1er janvier. Questionné pendant plusieurs heures, il est contraint de signer un procès-verbal reconnaissant qu'il « perturbe l'ordre social », détaille Le Monde.

Dès le début de l'épidémie, les autorités chinoises tentent donc de contrôler les informations sur le virus. Sur le réseau social Weibo, la police de Wuhan annonce qu'elle a pris des « mesures légales » contre des personnes ayant « publié et partagé des rumeurs en ligne », « causant un impact négatif sur la société ». Le lendemain, l'information est reprise par la chaîne CCTV, la télévision d'Etat, qui ne précise pas que les huit personnes accusées de « répandre des fausses rumeurs » sont des médecins, explique Le Monde.

Il fut l'un des premiers à sonner l'alarme sur ce nouveau coronavirus qui a, à l'heure actuelle, fait plus de 560 morts et contaminé plus de 28.000 personnes.

Le médecin chinois Li Wenliang fait désormais figure de héros national, face à des responsables locaux accusés d'avoir caché les débuts de l'épidémie

Les autorités chinoises dans le viseur

Fin janvier, la Cour suprême chinoise a publié un article inhabituellement critique envers la police, dont le zèle à traquer les «rumeurs» aurait retardé la sensibilisation de la population à la nouvelle maladie. La police de Wuhan y était épinglée pour avoir interpellé huit personnes - dont le Dr Li - accusées d'avoir parlé d'une épidémie de Sras au lendemain du signalement des premiers cas de nouveau coronavirus par Pékin à l'OMS. Fait rare, la Cour suprême réhabilite les lanceurs d'alerte, le 28 janvier. Elle concède que « l'information  délivrée par les huit personnes [dont Li Wenliang] n'était pas fabriquée de toutes pièces », rapporte Le Monde. La Cour a estimé utile le fait d'alerter de bonne foi sur l'apparition d'une nouvelle maladie

Le gouvernement chinois s'est senti obligé de réagir que tardivement dans le mois de janvier. Le président Xi Jinping souligne en effet la nécessité de partager rapidement des informations avec le reste du monde, le 20 janvier seulement. Le même jour, le bilan des autorités de Wuhan est porté à 198 cas et la transmission entre humains est confirmée.

Le directeur de l'ONG Human Rights Watch (HRW), Kenneth Rotha, a dénoncé l'«élimination» de rapports sur le virus en Chine au cours des premiers jours de l'épidémie, ainsi que les efforts de Pékin pour faire taire les critiques à son encontre sur les médias sociaux. «L'heure est à la transparence totale, même si elle est embarrassante, car la santé publique doit passer avant la préservation d'un pouvoir politique particulier. Malheureusement, ce n'est pas l'approche de Pékin», a-t-il dit.

Emotion et colère après sa mort

Sur le groupe de messages privés WeChat, les réactions de recueillement et de colère se mélangent. « Que tous ces fonctionnaires qui s'engraissent avec l'argent public périssent sous la neige », s'est emporté un internaute, dans un commentaire promptement effacé par la censure. Un autre a republié les images de la télévision centrale de Chine annonçant l'arrestation des médecins en décembre.

Si les autorités ont laissé passer ces dernières semaines des critiques des responsables locaux, les commentaires publiés depuis la mort du médecin s'en prennent à la nature autoritaire du régime.

Sur Weibo, le mot-dièse « Nous voulons la liberté d’expression » a largement été partagé défiant les tabous de la censure, avant d’être bloqué.

De nombreux internautes font circuler la chanson des Misérables Do you hear the people sing?, hymne des manifestants pro-démocratie à Hongkong.


Britney Delsey pour DayNewsWorld