L' EUROPE  TROUVE ENFIN UN COMPROMIS ECONOMIQUE FACE A LA CRISE DU CORONAVIRUS

Les ministres des Finances des 27 avaient jusqu’au 10 avril pour proposer un plan de gestion de l’épidémie. Le scénario d’une crise profonde prenait chaque jour un peu plus forme au sein de l’Union européenne (UE). Divisés sur la riposte économique commune à apporter pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19, les ministres des finances de la zone euro, réunis jeudi 9 avril 2020, par visioconférence ont enfin trouver un terrain d’entente, avant un prochain Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement. Mais, déjà, la fracture Nord-Sud, qui avait failli faire imploser l’UE en 2010, lors de la crise de la dette de la zone euro et du sauvetage de la Grèce, a ressurgi avec force durant les laborieuses tractations des jours derniers.

Un ressaisissement était espéré pour voir l’Europe faire front de concert en imaginant des solutions collectives.

Les pays de l'Union européenne sont finalement parvenus, jeudi, à un accord sur une réponse économique commune face au coronavirus. Un terrain d'entente a été notamment trouvé avec les Pays-Bas, qui bloquaient les discussions depuis mardi.

Ce vaste plan porterait l'ensemble des mesures adoptées par l'Union européenne pour lutter contre les effets de la pandémie à 3 200 milliards d'euros, soit le plus important dans le monde. « La réunion s'est achevée sous les applaudissements des ministres », a annoncé sur Twitter le porte-parole du président de l'Eurogroupe, Mario Centeno. « Aujourd'hui, nous avons répondu à l'appel de nos citoyens en faveur d'une Europe qui protège » avec « des propositions audacieuses qui semblaient impossibles il y a à peine quelques jours »

Bruno Le Maire a déclaré que l'Europe avait conclu le plus important plan économique de son histoire. « Tout le monde avait en tête que c'était soit un accord, soit le risque d'une dislocation européenne », a-t-il dit.

Le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz, a lui salué « un grand jour pour la solidarité européenne ». « Il est important que nous tous apportions une réponse commune qui permette à nos États de surmonter les défis sanitaires mais aussi les défis économiques » suscités par la pandémie de Covid-19, a indiqué le ministre.

Trois axes principaux

Le plan de relance  pour riposter à la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 s'articule autour de trois axes :

1° Le Mécanisme européen de stabilité (MES) pour 240 milliards, la Banque européenne d'investissement (BEI) à concurrence de 200 milliards

2° Le plan « Sure » ("Support to mitigate unemployment risks in emergency") avec 100 milliards au bénéfice des chômeurs partiels proposé par la Commission européenne. « La seule condition pour accéder aux prêts du MES sera de soutenir les dépenses sanitaires », a expliqué le président de l'Eurogroupe, Mario Centeno, jeudi soir.

3° Et le fonds de relance à définir.

Les chefs d'État et de gouvernement, qui n'étaient eux-mêmes pas parvenus à s'entendre lors d'un sommet le 26 mars, devront encore valider ces propositions.

Le fonds de relance et la question non tranchée des « corona bonds »

La brûlante question des « corona bonds », destinés à soutenir l'économie à plus long terme après la crise, considérée comme moins urgente, n'a pas été tranchée jeudi.

Les pays les plus affectés par le virus, en particulier l'Italie, réclament la création d'un « fonds » de relance qui puisse être financé par de la dette commune, sous la forme d'euro-obligations parfois appelées « corona bonds » ou « eurobonds ». Or, la mutualisation des dettes constitue une ligne rouge pour Berlin et La Haye, qui refusent de s'inscrire dans une démarche commune avec les États très endettés du Sud, jugés laxistes dans leur gestion.

Le torchon brûlait en effet au sein de l’UE entre des pays du Sud, comme l’Italie et l’Espagne, parmi les plus touchés par la pandémie et aux finances fragiles, et ceux du Nord, emmenés par les Pays-Bas − chef de file des Etats dits « frugaux » − et par l’Allemagne et l’Autriche, partisans de la maîtrise des finances. Les premiers, soutenus par la France et sept autres pays européens (la Grèce, le Portugal, la Slovénie, la Belgique, le Luxembourg et l’Irlande, rejoints depuis par Chypre) plaident pour la création d’un coronabond.

Tandis que Bruno Le Maire a dit jeudi que l'accord ouvrait la voie à de la dette commune, son homologue néerlandais Wopke Hoekstra a souligné le contraire. « Nous sommes et resteront opposés aux 'corona bonds'. Ce concept n'aidera ni l'Europe ni les Pays-Bas sur le long-terme », a dit le ministre néerlandais de l'Économie à l'issue des pourparlers.

L'Eurogroupe n'a pris aucune décision concernant ces obligations, mais le texte final évoque un « fonds de relance » dont « les aspects juridiques et pratiques », notamment le « financement », devront encore être définis par les chefs d'État ou de gouvernement.

Vers une solidarité européenne...

Ce consensus constitue un soulagement pour les Européens qui parviennent à afficher une unité face aux conséquences économiques désastreuses du virus, après des semaines d'atermoiements mettant en évidence une fracture entre les pays du Nord et ceux du Sud.

Une réponse unitaire était d'autant plus indispensable que l'économie européenne se dirige en 2020 vers une profonde récession, le Fonds monétaire international estimant même que le coronavirus pourrait engendrer au niveau mondial « les pires conséquences économiques depuis la Grande Dépression » de 1929.

Mercredi matin, après 16 heures de discussions, La Haye avait été unanimement pointée du doigt pour son inflexibilité, entravant toute perspective d'accord sur une activation sans condition de ce fonds de secours européen MES, créé en 2012 pour les États en difficulté. Les États membres reprochaient aux Pays-Bas (soutenus, selon une source européenne, par l'Autriche, la Suède et le Danemark) de bloquer l'activation du Mécanisme européen de stabilité (MES), en conditionnant strictement les prêts que pourrait octroyer ce fonds de secours de la zone euro à des réformes économiques. Bloquer l'usage du mécanisme européen de stabilité (MES) «parce qu'on tient obstinément, idéologiquement, religieusement, à la mise en place d'une conditionnalité sévère est irresponsable», avait déclaré Jean-Claude Juncker au quotidien français Libération

Une telle « conditionnalité », qui renverrait à l'époque où la Grèce avait été contrainte de mettre en œuvre des réformes parfois douloureuses en échange d'argent frais, aurait été vécue comme une humiliation par l'Italie et l'Espagne, les deux pays européens pour l'instant les plus touchés par l'épidémie. L'Allemagne a finalement proposé d'alléger les conditions d'octroi des prêts.

Créé en 2012 lors de la crise de la dette et financé par les États membres, le MES pourrait prêter aux États jusqu'à 2 % de leur PIB, soit jusqu'à 240 milliards d'euros pour l'ensemble de la zone euro.

Pour Jean-Claude Juncker, l'inflexibilité des Pays-Bas etait d'autant plus incompréhensible que «le MES ne serait pas suffisant pour relancer» les économies européennes.

Pour y parvenir, l'ancien président de la Commission soutint la création d'une capacité d'emprunt européen, autour de l'émission de «coronabonds».«En décembre 2010, en qualité de président de l'Eurogroupe, j'avais proposé la création d'eurobonds afin que tous les membres de la zone euro bénéficient du même taux d'intérêt. Mais il faut bien faire la différence avec les 'coronabonds': il ne s'agit pas de mutualiser les dettes nationales du passé, une idée contre laquelle la moitié de l'Europe s'était élevée, mais de mutualiser la dette qui naîtra de la mise en place des moyens budgétaires nécessaires pour répondre à la crise du coronavirus», a-t-il expliqué. «Il s'agit d'organiser solidairement ce financement de la crise actuelle en cumulant les différents instruments: Banque européenne d'investissement, MES, budget européen et enfin 'coronabonds'», avait-il ajouté...

A la question de savoir si l’Union européenne survivra à la crise, deux commentaires :

« Le Covid-19 agit comme un stress test, titrait fin mars le quotidien allemand Die Welt : il révèle l’égoïsme des Etats membres. ». 

L’ex-premier ministre finlandais Alexander Stubb rappelle, quant à lui, les trois phases classiques des crises européennes: «D’abord la prise de conscience, puis le chaos et, enfin, une solution imparfaite.»




Joanne Courbet pour DayNewsWorld