FAUT-IL ALLONGER LE TEMPS DE TRAVAIL ?

Les mauvais chiffres des demandeurs d’emplois sont arrivés, les prévisions de croissance plongent (–6 points de PIB pour les deux mois de confinement) et la crise de l’emploi se profile si bien que l'éternel débat a rejailli à la faveur de la crise du coronavirus.

Sur le temps de travail, c'est le Medef qui a tiré le premier  par la voix de son président, Geoffroy Roux de Bézieux « L’important, c’est de remettre la machine économique en marche et de reproduire de la richesse en masse, pour tenter d’effacer, dès 2021, les pertes de croissance de 2020 », avait-il asséné dès le 14 avril, après un mois de confinement en proposant de limiter notamment les congés et en allongeant le temps de travail des salariés pour accompagner la reprise.

Des mesures drastiques

La semaine dernière, plusieurs groupes de réflexion libéraux ont remis l’idée sur le tapis, pour sortir, selon eux, de cet « écroulement de l’économie », selon une expression employée par le gouvernement. L’Institut Montaigne, dans un rapport, « Rebondir face au covid 19 ", place ainsi toute la question autour de « l’enjeu du temps de travail ».

Derrière l’idée de travailler plus, celle « d’agir sur l’offre, c’est-à-dire sur l’activité des entreprises, afin de faciliter leur reprise d’activité » , la productivité ayant diminué « du fait de la réduction des interactions sociales et de la désorganisation des chaînes de production ». Il faut donc, estime dans sa note l’économiste Bertrand Martinot, « assouplir quelques verrous juridiques persistants » en permettant aux entreprises de « déroger au temps de repos minimum quotidien de 11 heures minimum par jour dans le cadre d'un accord sur le droit à la déconnexion ».

Autres pistes : supprimer des vacances et un jour férié, faire en sorte que les formations de salariés ne soient plus effectuées sur leur temps de travail ou inciter à l’accroissement du temps de travail, sans pour autant que la rémunération supplémentaire correspondante ne soit versée immédiatement.

Pour l’Ifrap, la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques, le dogme du « travailler plus » est également une évidence pour sauver les entreprises et éviter les licenciements.

Vieux routier des relations sociales en France, et ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, Raymond Soubie s’est même étonné de ne voir « personne anticiper » les plans sociaux, et la situation des entreprises qui seront face à des « marchés durablement réduits ».

Lui pronostique la disparition de « dizaines de milliers, et probablement des centaines de milliers d’emplois ». Si bien qu’il préconise de revoir « d’urgence » . les règles des plans sociaux pour les entreprises les plus en difficultés, et pour les autres de passer des accords prévoyant des efforts des entreprises sur l’emploi en échange d’efforts des salariés sur le temps de travail.

Un débat politique

A droite, les propositions se multiplient. Christian Jacob, le président de LR, plaide pour « sortir du carcan des 35 heures », et son parti planche sur un plan de relance, avec notamment les contributions de l’ex-ministre du Budget Eric Woerth. « Il faut se sortir du carcan des 35 heures (...) La question du temps de travail devra se poser dans un cadre de dialogue social, mais au niveau de l’entreprise ou dans les branches, pas de l'Etat », a-t-il lundi sur France Inter.

Et il prêche pour du cas par cas. « On peut très bien le faire dans le cadre de l’annualisation du temps de travail et de le faire par entreprise, au plus proche de la réalité, et dans une négociation sociale entre les salariés et le chef d’entreprise. (...) Cela permettrait aux salariés d’avoir une augmentation de salaire et donc de pouvoir d’achat, et de redonner de la compétitivité aux entreprises. (...) »

Mais l’allongement de la durée du travail n’est pas à l'ordre du jour pour Laurent Berger. Pour lui aussi, on « tarde trop » à se préoccuper de l’emploi alors que « le risque de faillites en cascade et son lot de drames sociaux et territoriaux se confirme ».

« Si on pense que l’on va s’en sortir positivement en promettant de la sueur et des larmes, on est chez les fous », estime-t-il dans l’hebdomadaire La Vie.

Plutôt que de vouloir allonger la durée du temps de travail, « nous devons apprendre à travailler autrement et à travailler mieux », argumente-t-il, particulièrement inquiet de la situation des jeunes. La CGT reste de plus attaché aux 32 heures.

Pour l'instant, le gouvernement mise avant tout sur une reprise du travail. « Le problème du jour, c'est le retour au travail, et sauver l'emploi », a réagi la ministre du Travail, Muriel Pénicaud.

Pour elle les entreprises ont déjà des marges de manœuvres négociables avec leurs salariés, notamment le quota de 200 heures supplémentaires sans charges sociales, encore très peu utilisé.




Jenny Chase pour DayNewsWorld