L'ALLEMAGNE S'ATTAQUE A L'UNION EUROPEENNE

Le 5 mai 2020, un tribunal allemand a pris une décision qui pourrait mettre en péril la zone euro . La Cour constitutionnelle allemande a en effet sommé mardi la Banque centrale européenne de justifier « dans les trois mois »  ses rachats de dette publique, fragilisant ainsi son vaste soutien à l'économie en pleine pandémie de coronavirus.

La politique de « quantitative easing »( QE) de la Banque centrale européenne a été en effet jugée en partie inconstitutionnelle en Allemagne selon les juges de la Cour de Karlsruhe

Cette décision porte sur les rachats de dette souveraine de la BCE. Ils font partie du fameux QE , l’assouplissement quantitatif lancé en mars 2015 pour soutenir l’économie en zone euro.

« Pour la première fois de son histoire, la Cour constitutionnelle allemande constate que les actions et décisions des institutions européennes n'ont manifestement pas été prises dans le cadre des compétences européennes et ne peuvent donc pas avoir d'effet en Allemagne » a déclaré Andreas Vosskuhle, président de la Cour constitutionnelle allemande

Cet arrêt retentissant sonne comme un défi aux institutions européennes en visant le programme anti-crise mené depuis 2015, au moment même où l'institut de Francfort le renforce face aux conséquences de la crise sanitaire.

Formellement cependant, l’arrêt rendu mardi « ne concerne pas »  le programme d’urgence contre la pandémie (PEPP), annoncé mi-mars par la BCE et doté de 750 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année, rappellent les magistrats.

La Bundesbank pourrait cesser d’acheter de la dette pour la BCE

Concrètement, la puissante Banque centrale allemande se verra interdire de participer à ces rachats massifs d'obligations souveraines si « le Conseil des gouverneurs de la BCE » ne démontre pas leur « proportionnalité », a décidé la juridiction suprême allemande.

En clair, l'institution de Francfort doit établir d'ici le mois d'août, de manière « compréhensible et détaillée », que les effets positifs de ce programme l'emporte sur ses inconvénients. La BCE n'a cessé depuis des années de plaider pour cet « assouplissement quantitatif » ou « QE », décrié notamment en Allemagne, expliquant vouloir stimuler l'offre de crédit, donc in fine la croissance et l'emploi en zone euro.

Pour les juges allemands, la BCE n’a pas justifié le principe – sacrosaint en Allemagne – de proportionnalité entre les moyens importants débloqués et sa mission d’assurer la stabilité des prix en zone euro, soit un taux d'inflation proche mais en dessous de 2%. On soupçonne outre-Rhin que cette politique monétaire aurait davantage servi à subventionner les pays du sud de la zone euro, au détriment de l’épargnant allemand, tout en faisant fi des traités qui imposent de répartir les financements dans la zone à due proportion de la participation de chaque pays au capital de la BCE*.

L'Allemagne est donc réticente à payer pour les pays qu'elle appelait naguère le « club med » : Italie, Grèce, Portugal et Espagne, qu'elle accuse de laxisme budgétaire. On pourrait ajouter la France.

Saisie par plusieurs requérants eurosceptiques, la Cour constitutionnelle reconnaît certes n'avoir « pas pu établir de violation » par la BCE de l'interdiction qui lui est faite de financer directement les Etats européens.

Mais dans une décision d'une rare virulence, les magistrats de Karlsruhe jugent « douteuse » la compétence de l'institut de Francfort pour racheter massivement de la dette publique, soit l'essentiel des 2 600 milliards d'euros injectés sur les marchés entre mars 2015 et décembre 2018 dans le cadre du « QE », réactivé en novembre dernier.

« En raison de leur responsabilité en matière d’intégration, le gouvernement fédéral et le Bundestag allemand sont obligés de s’opposer au traitement antérieur du PSPP (le programme de rachat de la BCE) », a indiqué la décision.

Reste à savoir si le gouvernement fédéral et le Bundestag allemand vont suivre la Cour constitutionnelle allemande .

Mais plus globalement, cette décision pose la question fondamentale de l’adhésion de l’Allemagne à la zone euro alors que l’institution monétaire apparaît le seul pilier solide de la zone euro pour faire face à la crise sanitaire et économique provoquée par le Covid-19 .




Jaimie Potts pour DayNewsWorld