ATTENTAT A PARIS PSYCHIATRIE ET TERRORISME 

POURQUOI L'INJONCTION DE SOIN 

N'EST-ELLE PAS LA PANACEE ?

Après l’attaque au couteau au cœur de Paris samedi soir, Gérald Darmanin pointe du doigt le suivi de l’agresseur "un ratage psychiatrique" dans le suivi de l’assaillant.

Il souhaite un changement de pratique psychiatrique. 

Cette réaction à chaud et peut-être politique e a étonné plus d'un ?, l'argument de Darmanin étant un peu facile voire démagogique.

C'est d'ailleurs l'avis d'Antoine Pelissolo, professeur de psychiatrie, chef de service au CHU Henri-Mondor de Créteil

"C’est, en tout cas, un jugement à l’emporte-pièce pour trouver des boucs émissaires, alors que nous n’avons pas encore une analyse complète, fine, de la situation. 

Je ne peux pas dire si le suivi de ce suspect français a été parfait, n’ayant pas accès à son dossier, mais Gérald Darmanin ne peut pas jeter l’opprobre sur des professionnels de la psychiatrie". 

Des pathologies psychiatriques connues

Placé en garde à vue, visé par une « fiche S », il avait déjà été condamné et a déclaré aux policiers qu’il « en avait marre de voir des musulmans mourir », notamment à Gaza, et que la France était « complice » d’Israël. Le profil de l'assaillant, qui a revendiqué son acte terroriste, a rapidement été présenté, ainsi que son lourd passé de radicalisé. 

Mais à la différence de l’assassin de Samuel Paty et de celui de Dominique Bernard, l’auteur des faits, arrêté à Paris et désigné comme Armand Rajabpour-Miyandoab., souffre de pathologies psychiatriques connues.

Déjà en 2019, alors qu'il était en détention incarcéré pour un projet d'attaque à La Défense, ce dernier a tenu des propos troublants"J'entends la voix de toutes les personnes écrouées pour terrorisme"

Ces propos sont consignés dans un document judiciaire consulté par des confrères comme incident que rapporte un surveillant pénitentiaire.

"Gradé, il y a du sale qui me passe par la tête. J'entends la voix de toutes les personnes écrouées pour terrorisme. 

J'entends même la voix des jihadistes du Bataclan me demandant de passer à l'acte. Je suis perdu et je ne sais plus qui je suis", avait déclaré l'assaillant. "J'ai envie d'égorger mes parents à la sortie. 

Ma date de libération est proche, et je ne sais pas où j'en suis. Je vais finir par passer à l'acte", a-t-il ajouté, tout en s'adressant au surveillant.

.Une nuit d'avril 2019, Armand Rajabpour-Miyandoab a vu le médecin, à la suite d'une crise d'angoisse en cellule. Il lui avait ainsi indiqué sa conviction que "l'administration pénitentiaire voulait l'empoisonner à travers les repas".

Nul doute que le meurtrier souffre de troubles psychologiques, il avait d'ailleurs fait l’objet, pendant de nombreuses années, d’un suivi psychiatrique.

C’est pendant sa détention que sont détectés les premiers troubles psychiatriques. Il est alors placé sous neuroleptique atypique, un traitement qu’il continuera après sa libération, en 2020. 

En mars 2022, un médecin donne son aval pour le stopper. Mais six mois plus tard, au regard d’une expertise psychiatrique, le juge de l’application des peines ordonne une injonction de soins.

La possibilité d’une "injonction de soins administrative"

Une chose est cependant sûre: Armand Rajabpour-Miyandoab ne faisait plus l’objet d’aucun traitement depuis avril 2023, lorsque sa mise à l’épreuve a pris fin après trois ans. Les rapports du médecin coordonnateur à son sujet étaient plutôt encourageants : il a honoré ses rendez-vous, travaillait dans la même entreprise depuis 2020. 

A plusieurs reprises dans ses rapports, il écarte la possibilité d’une dangerosité d’ordre psychiatrique. 

Certains éléments, pourtant, interrogent. En octobre dernier, sa mère a signalé aux services spécialisés un repli sur lui inquiétant. 

Elle a toutefois refusé de demander son hospitalisation sous contrainte. 

Et la marge de manœuvre des services de renseignement est limitée...

La loi votée en 2021, qui donne la possibilité de prolonger pendant cinq ans le suivi des détenus condamnés pour terrorisme y compris donc les injonctions de soins, n’était pas en vigueur au moment de la libération de l’assaillant.

Beaucoup de choses existent déjà dans ce domaine. Le préfet peut ordonner une hospitalisation ou un suivi psychiatrique, mais toujours avec l’avis d’un médecin, puisqu’il faut que cela soit dans le cadre strict d’une pathologie. 

Aujourd’hui, le préfet peut seulement demander une hospitalisation sans consentement d’un patient si ce dernier a porté atteinte "à la sécurité de personnes ou, de façon grave, à l’ordre public". 

"Même si on était parvenu à l’emmener voir un médecin, celui-ci n’aurait probablement pas prononcé d’hospitalisation sous contrainte en l’absence de trouble manifeste", insiste une source proche du dossier.

"Or l’articulation d’une souffrance psychique aiguë avec une idéologie offre à l’individu une perspective d’acte à prendre au sérieux. Il n’est pas rare qu’un individu se canalise avec la religion, au gré de son suivi à la lettre de certains hadiths, recueils des actes et paroles de Mahomet. 

D’autres individus fragiles donnent un sens à leur vision apocalyptique du monde avec des éléments de la réalité leur permettant d’alimenter un délire de persécution, de rédemption, mégalomaniaque ou mystique. 

Ils peuvent parvenir à une forme d’équilibre instable, jusqu’à ce qu’ils se sentent psychiquement contraints à agir", explique Laure Westphal, psychologue clinicienne, Docteure en psychopathologie et psychanalyse.

Cette injonction de soins "en amont de tout trouble à l’ordre public" ?

La proposition supplémentaire de Gérald Darmanin serait donc de mettre en place cette injonction de soins en amont, de manière préventive, avant tout passage potentiel à l’acte, sur la base d’une suspicion ou de renseignements d’alerte.

Pour remédier à ce vide juridique – déjà pointé depuis plusieurs années par les services de renseignement – le ministre de l’Intérieur a donc affiché sa volonté de donner aux préfets la possibilité de demander des injonctions de soins administratives. 

En clair : de leur permettre d’ordonner un examen psychiatrique "en amont de tout trouble à l’ordre public", précise l’entourage du ministre. 

Ce serait peut-être petite avancée dans la prise en charge de ces terroristes aux « troubles psychologiques » identifiés.Reste à savoir dans quel cadre juridique cela pourrait s’inscrire – le ministère précise d’ores et déjà qu’il ne s’agit pas d’une mesure de privation de liberté – et à quelle échéance.

Mais la frontière n’est pas étanche ; une personne radicalisée peut être en proie à des troubles psychiatrique qui peuvent donc jouer un rôle dans le passage à l’acte.

Une radicalisation convictionnelle, des choix qui ont une rationalité

Certes chez Armand R-M le sens du passage à l’acte échappe certes à son auteur, mais pas le sens qu’il donne à son action meurtrière: il exerce cette dernière consciemment au nom d’une logique idéologique, celle de l'islam radical. Ce terroriste islamiste a fait des choix qui ont une rationalité. C'est aussi un individu rationnel qui a théorisé son acte , comme le rappelle fort justement le médecin-psychiatre au centre pénitentiaire Paris La Santé et directeur de Centre d'étude des radicalisations et de leurs traitements.

La guerre en Israël a pu accélérer le projet de fanatiques de se battre pour une identité commune, prise comme sorte d’unique référentiel politico-religieux .Il « en avait marre de voir des musulmans mourir », notamment à Gaza . « Les djihadistes n’ont pas que le prophète à « défendre ». Il y a aussi ce qu’ils considèrent être les souffrances causées à l’Oumma, la communauté musulmane homogène et mythique. Le conflit israélo-palestinien a longtemps été identifié comme le point de fixation des humiliations arabes.

Avec la globalisation de l’islam, les nouvelles générations de terroristes lui ont substitué les conflits en Afghanistan, en Bosnie, en Tchétchénie, en Irak ou en Syrie. L’affaiblissement militaire de l’EI sur les territoires syriens et irakiens n’a pas éteint les velléités d’engagement. », souligne encore Laure Westphal.

16 % d'entre eux seulement: des fragilités psychologiques "moyenne à forte".

Et tous les radicalisés loin s'en faut, n'ont le profil de Armand

En effet en 2022, une étude du ministère de la Justice, s’appuyant sur un panel de 350 détenus passés par des quartiers d’évaluation de la radicalisation, indiquait que 8 % d’entre eux présentaient des troubles psychiatriques et 16 % des fragilités psychologiques « moyenne à forte ». .Parmi le nombre important de personnes radicalisées, il en existe une proportion – pas nécessairement plus importante que dans la population générale – qui souffre d’affections psychiatriques. L’expérience du Centre de Prévention, Insertion, Citoyenneté, en 2016, l’a confirmé : un seul des bénéficiaires de cette structure pour la prévention de la radicalisation souffrait de troubles relevant de la psychiatrie. Dans l’immense majorité des cas, la radicalisation est convictionnelle, il y a un consentement idéologique fort.

Un nombre important d’individus radicalisés ne relevant pas de la psychiatrie !

Depuis la fermeture du CPIC en 2017, l’accompagnement des personnes radicalisées a été privilégié au niveau local. 

Un rapport d’information, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 juin 2019 stipule que, selon l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), au mois d’avril 2019, la prise en charge a été relayée dans 269 communes. 

Ces mesures semblent insuffisantes, si l’on en croit que chaque année depuis 2015 des attentats sont commis sur notre sol, bien que bon nombre soient déjoués. Parallèlement, on compte en France, en mars 2022, 570 détenus de droit commun radicalisés et 430 détenus pour terrorisme islamiste. 

Armand M. avait, selon les médias français, juré "ne plus être musulman", après plusieurs années passées derrière les barreaux pour un projet d’attentat, en 2016, dans le quartier parisien des affaires de la Défense. Il faisait partie des 340 détenus radicalisés libérés depuis 2018 (une trentaine d'autres doivent l'être en 2024).

Une cinquantaine depuis début octobre l'a été alors que la DGSI avait rapporté cet été que la menace terroriste était toujours la première en France... Des bombes en puissance?

Ajoutons les Fichés S . Ils sont officiellement 12'000 et 20'000, selon l'évaluation de leur dangerosité. Ces «fichés» pour radicalisme islamique sont classés dangereux pour la sûreté de l’État. Les citoyens vont-ils encore devoir faire longtemps avec !?




Joanne Courbet pour DayNewsWorld