L'ERREUR STRATEGIQUE DU PRESIDENT MACRON

 SUR LA DISSUASION NUCLEAIRE

"Trop de gens " en parlent. 

Cet avertissement d’Emmanuel Macron sur le nucléaire doit-il s’appliquer aussi à Emmanuel Macron ? 

Sur France 2, mercredi 12 octobre 2022 au soir, le président de la République a critiqué les dirigeants qui s’épanchent trop, à son goût, sur les risques d’une guerre nucléaire…

Avant d’en faire de même.

Invité à s’exprimer sur les questions internationales, le chef de l’État a effectivement évoqué ce que pourrait être - ou ne pas être - une riposte française à une frappe nucléaire russe en Ukraine. 

"Notre doctrine repose sur ce qu’on appelle les intérêts fondamentaux de la nation, et ils sont définis de manière très claire. Ce n’est pas du tout cela qui serait en cause s’il y avait une attaque balistique nucléaire en Ukraine ou dans la région", a-t-il ainsi expliqué face à Caroline Roux, quitte à dévoiler – un peu – son jeu.

Car cette réponse, certes alambiquée, a de quoi surprendre selon plusieurs observateurs et autres spécialistes de ces questions ultrasensibles. 

Le chef de l’État aurait-il dû écouter son propre conseil et se montrer moins bavard sur la dissuasion nucléaire ?

Une "ambiguïté nécessaire", dit l’Élysée

C’est en tout cas l’avis de François Hollande, son prédécesseur à l’Élysée.

" Sur la force de dissuasion, la crédibilité c’est ne rien dire de ce que nous aurons à faire (...). Il faut s’arrêter là ", a ainsi intimé le socialiste sur franceinfo, jeudi, au lendemain de l’intervention du chef de l’État sur France 2.

Selon lui, " nous devons avoir cette précaution de ne rien dire à celui qui pourrait justement déclencher l’arme ". 

En somme : un président ne devrait pas dire ça s’il souhaite préserver la capacité de dissuasion de la France.

D’autant que l’ancien locataire de l’Élysée – et ex-chef des armées —, jamais avare de critique à l’égard du personnel politique actuel, n’est pas le seul à s’inquiéter de la sortie du chef de l’État. Plusieurs spécialistes français des questions de défense s’interrogent, eux aussi à haute voix.

" Il a à la fois été trop précis et pas assez précis, en évoquant la réponse française à une frappe nucléaire en Ukraine, mais également une frappe dans la région ", juge par exemple Héloïse Fayet auprès de 20 Minutes.

La chercheuse au centre des études de sécurité de l’Ifri se dit surprise d’entendre le chef de l’État parler " d’intérêts fondamentaux " très clairs, alors que la doctrine mentionne des " intérêts vitaux ", qui doivent rester flous par essence.

Emmanuel Macron a " poussé très loin, trop à mon sens, le curseur vers la clarté ", estime pour sa part Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). 

" Tout excès de précision permet à l’adversaire de calculer trop précisément les risques de telle ou telle initiative ", estime le spécialiste des questions géopolitiques dans les colonnes du Figaro.

Dans ce contexte, l’Élysée se défend de toute imprudence. On loue, au contraire, la position d’équilibriste d’Emmanuel Macron… sans trop entrer dans le détail de ses déclarations et de sa doctrine en la matière.

Un flou artistique assumé dans l’entourage du chef de l’État, selon qui ce dernier a maintenu " toute l’ambiguïté qui va autour de la dissuasion. " 

" Une ambiguïté nécessaire ", a expliqué l’Élysée, ce jeudi soir. Et sans doute évolutive.

Macron, seul maître à bord

Il n’empêche, les commentaires du chef de l’État mercredi soir soulèvent plusieurs enjeux concrets. À quoi correspond, par exemple, la " région " considérée comme hors de nos intérêts fondamentaux ? 

Les questions, " qui n’appellent à aucun commentaire supplémentaire ", sont restées sans réponse du côté de l’Élysée. Une volonté, sans doute, de ré-épaissir le flou que le principal intéressé a contribué à lever.

Au-delà de ces débats stratégiques concrets, la présidence a voulu insister sur le fait que seul Emmanuel Macron (qui est aussi le chef des armées) a la main sur ce sujet. " La dissuasion relève du chef de l’État, de son appréciation à l’instant T de ce qui est nécessaire pour la sauvegarde de nos intérêts vitaux ", précise l’Élysée, en faisant référence, entre autres, au discours du président de la République du mois de février 2020 à l’école de guerre. 

En d’autres termes : c’est lui qui définit tout ce qu’est la dissuasion nucléaire, de sa doctrine à son utilisation. Son pré-carré.

Mais à l’heure où les menaces de Vladimir Poutine s’intensifient, la polémique liée aux déclarations d’Emmanuel Macron ne s’arrête pas aux frontières de la France. Selon le quotidien outre-Manche The Telegraph, le secrétaire britannique à la Défense, Ben Wallace, a regretté la sortie du président français, ce jeudi, en marge d’une réunion des ministres de l’OTAN à Bruxelles. 

Ses commentaires " révèlent sa main ", estime ainsi le dirigeant britannique. Comme si, au poker, Emmanuel Macron montrait son jeu à son adversaire.

Reste que le président de la République, critiqué pour ses mots, n’est pas le seul à éloigner, sur le fond, la possibilité d’un recours à l’arme atomique. " Toute attaque nucléaire contre l’Ukraine entraînera une réponse militaire ", certes, " si puissante que l’armée russe sera anéantie ", a expliqué le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, jeudi soir, au sortir de la réunion bruxelloise. Mais cette riposte ne sera « pas nucléaire », a-t-il pris soin de préciser.

Même chose ou presque du côté de l’Otan, qui juge " extrêmement éloignées "  " les circonstances dans lesquelles l’organisation pourrait avoir à utiliser des armes nucléaires ".

" La dissuasion nucléaire de l’Otan a pour objectif de dissuader toute attaque contre les alliés ", a ainsi souligné le secrétaire général Jens Stoltenberg. Ce que l’Ukraine, formellement, n’est pas.




Garett Skyport pour DayNewsWorld