LE CHAOS A LA FRONTIERE AMERICANO-MEXICAINE AVEC LA FIN DU TITRE 42 ?

La crise n'est pas nouvelle, mais pourrait prendre des proportions inédites. 

Dans les prochaines semaines, les autorités des États-Unis s'attendent à une situation "chaotique", selon l'expression de Joe Biden lui-même, avec des arrivées massives de migrants à la frontière mexicaine. 

Pour tenter d'y répondre, l'État fédéral a mobilisé plus de 24.000 agents et forces de l'ordre à la frontière, en plus de 4000 militaires. La cause ?

L'expiration ce jeudi d'une ordonnance de santé publique connue sous le nom de "Title 42". 

Le désordre en effet règne à la frontière sud des États-Unis, selon des agents frontaliers américains, le Titre 42 ayant pris fin à 23 h 59 (HAE) jeudi 11mai 2023. 

Près de 10 000 migrants ont été interceptés, à quelques heures de la fin de la mesure, alors qu'ils tentaient désespérément de traverser la frontière séparant le Mexique et les États-Unis.

Le Titre 42, qui était en place depuis mars 2020, permettait aux patrouilleurs à la frontière d'expulser les migrants qui arrivaient illégalement en sol américain avant qu'ils ne puissent demander l'asile, dans un contexte pandémique.

Fin du Titre 42

Le "Title 42" fait référence à la clause 42 du code gouvernemental américain, établi le 1er juillet 1944. 

C’est une loi qui confère aux autorités fédérales le pouvoir d'interdire l'entrée de personnes et de produits au pays afin de limiter la propagation d'une maladie transmissible. 

C’est donc cette clause que l'administration Trump a invoquée en mars 2020, au début de la pandémie, pour limiter l’entrée et la réception de demandes d’immigration.Son objectif consistait à interdire aux agences de contrôle des frontières de détenir des migrants dans des "lieux de rassemblement" comme les centres de rétention, où le virus de la COVID-19 pouvait se propager rapidement.

Cette mesure ayant pris fin jeudi soir, plusieurs migrants se sont pressés de se rendre à la frontière, espérant pouvoir profiter de cette transition chaotique aux États-Unis. 

Le secrétaire à la Sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas, avait d'ailleurs affirmé jeudi qu'"un nombre élevé d'arrivées" avait été observé "dans "certains secteurs" avant l'expiration du Titre 42. Le gouvernement fédéral s'attend à recevoir jusqu'à 13 000 migrants par jour immédiatement après l'expiration de la mesure, contre environ 6000 lors d'une journée normale.

Situation "chaotique"

Les autorités locales sont aux prises avec le flux migratoire important des derniers jours, en plus du devoir de traiter les migrants sans document déjà interceptés. L'administration Biden prévoyait relâcher ces immigrants irréguliers sans les expulser pour redonner un peu de souffle aux gardes-frontières. 

Cependant, un juge fédéral en Floride a ordonné jeudi un avis contradictoire obligeant les agents à remettre des avis de convocation pour la cour d'immigration, un processus qui prend du temps et qui est jugé nuisible par les agents frontaliers.

"Il s'agit d'un règlement nuisible qui conduira à un engorgement des frontières, qui freine notre capacité à efficacement effectuer les procédures et les expulsions de migrants et qui risque de créer des conditions dangereuses pour les agents frontaliers et les migrants". Une citation de Patrouille frontalière américaine

Pour aider les autorités locales, 24 000 agents supplémentaires ont été déployés mercredi en plus de 4000 militaires en vue de l'afflux important de migrants.

La situation, bien que chaotique, était cependant attendue. Le président Joe Biden a lui-même récemment affirmé que la situation serait "chaotique pendant un moment", alors qu'il tente de garder une politique équilibrée dans ce dossier.

Face à un risque de crise migratoire, les démocrates affichent donc un discours de fermeté. "Je veux être très clair : notre frontière n’est pas grande ouverte. Les personnes traversant notre frontière illégalement et sans fondement légal pour rester seront immédiatement [...] expulsées", a déclaré le ministre de la Sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas. 

Il reconnaît toutefois être lucide sur les défis auxquels nous allons probablement faire face dans les jours et semaines à venir.

"Nous sommes prêts à y répondre", affirme le ministre, notant "qu’un nombre élevé d’arrivées" avait déjà été observé "dans certains secteurs".

Pour restreindre le passage irrégulier à sa frontière, le gouvernement américain veut instaurer de nouvelles restrictions.

Les migrants sans visa qui ont passé par d'autres pays avant d'atteindre les États-Unis et qui n'ont pas fait de demande dans ces pays ne seront plus admissibles pour une demande d'asile. Toutefois, ceux qui auront pris un rendez-vous sur l'application mobile CBP One pour leur demande seront exemptés des mesures. 

La seule exception à la règle sera les mineurs isolés. 

Les clandestins qui ne remplissent pas les critères seront soumis au "processus accéléré de déportation" qui les empêchera d'entrer en sol américain pour les cinq prochaines années.

Les migrants "qui n'ont pas de raison de rester, nous les écarterons très rapidement avec ce que nous avons désormais à disposition, nos pouvoirs traditionnels de contrôle de l'immigration", a expliqué le secrétaire de la Sécurité intérieure.

Les impacts avec le retour de la clause 8

Depuis le début de la politique de la clause 42, la patrouille frontalière aurait procédé à 2,8 millions d'expulsions de migrants, selon le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis.

Avant la pandémie, la clause 8 était la principale ressource dont disposaient les autorités responsables en matière d'immigration pour décider de retenir une personne à la frontière ou de la libérer avec un permis pour demander l'asile ou pour invoquer des raisons humanitaires. 

La clause 8 prévoit cependant des sanctions aux lourdes conséquences pour les migrants renvoyés en cas d'entrée illégale, notamment une interdiction de réadmission pendant au moins cinq ans et des poursuites pénales potentielles en cas de tentatives répétées d'entrer illégalement sur le territoire américain.

Le retour de l'application de la clause 8 devrait réduire le nombre de franchissements répétés de la frontière, qui a augmenté de manière considérable pendant l'application de la clause 42. 

Cette clause prévoit toutefois des exceptions pour les personnes qui appartiennent à des populations vulnérables, par exemple celles qui font état d'une crainte crédible de persécution. Elles pourraient comparaître devant un juge, qui décidera alors si elles peuvent rester aux États-Unis ou non.

Contenir le flux de migrants

L'administration Biden a décidé d’envoyer 1500 soldats pendant 90 jours à la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

Au total, 4000 militaires sont mandatés pour aider les autorités frontalières à accomplir diverses tâches non liées à l'application de la loi.

Cette mesure ne fait pas l’unanimité au sein des démocrates, certains déplorant que le président Biden ait décidé de militariser la frontière avec le Mexique.

Pendant ce temps, les États-Unis ont ouvert de nouveaux centres de traitement des demandes en Colombie et au Guatemala, ce qui permettra aux migrants d'être présélectionnés par des voies légales, telles que le statut de demandeur d’asile ou de réfugié, avant d'aller grossir les rangs de la population à la frontière.

Alejandro Mayorkas, responsable de la Sécurité intérieure, a déclaré dans un communiqué que son département traiterait les migrants selon la "procédure standard", c'est-à-dire en les soumettant à une procédure d'expulsion.

Dossier politique délicat

Les républicains accusent les démocrates de ne pas assez renforcer la sécurité aux portes du pays, alors que des groupes de défense des droits des migrants estiment que le gouvernement empêche les demandeurs d'asile d'accéder à leurs droits.L'organisation de défense des droits civiques (ACLU) poursuit l'administration Biden pour contrer les nouvelles restrictions l'égard des demandeurs d'asile. 

Les nouvelles politiques du gouvernement veulent encourager les migrants à adopter le processus légal pour entrer au pays. Le problème relevé par l'organisme est que le système requiert une prise de rendez-vous via une application mobile, alors que plusieurs demandeurs n'ont pas accès à Internet ou même à un appareil mobile.

C'est un problème politique pour Joe Biden..Une crise migratoire opportune pour les républicains, alors que Donald Trump fait son grand retour sur la scène politique américaine ? 

Pour l’ancien président, "Joe Biden a officiellement aboli ce qu’il restait des frontières de l’Amérique".

Du côté des démocrates, on veut un traitement humanitaire des migrants. Tout le monde aimerait qu'il y ait de nouvelles lois sur l'immigration, mais le congrès est tellement divisé qu'ils n'arrivent pas à passer de nouvelles lois.

En attendant, les républicains, qui sont majoritaires à la Chambre des représentants, prévoient organiser un vote sur la nouvelle loi "Secure the Border Act of 2023" la semaine prochaine. Le projet de loi rétablirait plusieurs des politiques frontalières les plus controversées de l'ex-président Trump.

Kyrsten Sinema, sénatrice démocrate de l’Arizona, et son collègue républicain de la Caroline du Nord, Thom Tillis, travaillent actuellement sur un projet de loi qui accorderait une autorisation temporaire de deux ans pour continuer à expulser les migrants des États-Unis, donc avec des pouvoirs similaires à ceux conférés par la clause 42.

Cette mesure ne fait pas l’unanimité au sein des démocrates, certains déplorant que le président Biden ait décidé de militariser la frontière avec le Mexique avec l'envoi de 1500 soldats américains en renfort à la frontière mexicano-américaine.

Pendant ce temps, les États-Unis ont ouvert de nouveaux centres de traitement des demandes en Colombie et au Guatemala, ce qui permettra aux migrants d'être présélectionnés par des voies légales, telles que le statut de demandeur d’asile ou de réfugié, avant d'aller grossir les rangs de la population à la frontière.

Par ailleurs, dès jeudi, les républicains ont l'intention de faire adopter un projet de loi, connu sous le nom de HR 2, qui codifierait certains des programmes frontaliers mis en œuvre par l'ex-président Donald Trump, notamment la politique qui exigeait que les migrants restent au Mexique tout en suivant la procédure d'asile.

Il prévoit également consacrer davantage de ressources à la sécurité de la frontière, relancer la construction du mur entre les deux États, accroître le personnel frontalier et moderniser la technologie frontalière.

Jusqu'ici, les États-Unis se sont entendus avec le Mexique pour contenir les migrants refoulés par Washington.

Et le Mexique dans tout ça ?

De son côté, le Mexique a accepté d'accueillir des migrants du Venezuela, du Nicaragua, de Cuba et d'Haïti en vertu de l’ancienne clause dans le cadre des nouvelles procédures de libération conditionnelle mises en œuvre par l'administration Biden au début de l'année.Ces politiques ont entraîné une baisse significative du nombre de franchissements illégaux de la frontière par les ressortissants de ces quatre pays.

Toutefois, malgré les pourparlers en cours avec les États-Unis, il n'est pas certain que le Mexique accepte de continuer à accueillir les non-Mexicains rejetés par les États-Unis sans le mécanisme de la clause 42.




Joanne Courbet pour DayNewsWorld