HARCELEMENT MORAL INSTITUTIONNEL

A FRANCE TELECOM

France Télécom et ses trois anciens dirigeants ont été reconnus coupables de harcèlement moral institutionnel .

Ils étaient jugés pour harcèlement moral institutionnel qui avait poussé plusieurs salariés au suicide.

L’ancien PDG de France Télécom Didier Lombard a été condamné, ce vendredi 20 décembre, par le tribunal correctionnel de Paris à un an de prison dont quatre mois ferme et une amende de 15 000 €. Louis-Pierre Wenès (ex-numéro 2) et Olivier Barberot (ex-DRH) ont écopé de la même peine.

Quatre autres cadres, responsables territoriaux et à la DRH, sont déclarés coupables de « complicité de harcèlement moral ». Ils écopent de quatre mois de prison avec sursis et 5 000 € d’amende.

L’entreprise, rebaptisée Orange en 2013, est pour sa part condamnée à 75 000 € d’amende. Il s’agit des peines maximales et elles sont conformes aux réquisitions.

Notion de harcèlement institutionnel

Ce verdict clôt un procès long de trois mois, de mai à juillet, durant lequel les différentes parties ont tenté de faire la lumière sur les pratiques managériales en vigueur au sein de l’opérateur historique français à la fin des années 2000 qui ont eu pour effet, selon l’accusation, de déstabiliser de nombreux salariés, certains allant jusqu’à se suicider. Le tribunal fait ainsi entrer dans la jurisprudence la notion de harcèlement moral « institutionnel », « systémique », c’est-à-dire étant le fruit d’une stratégie d’entreprise « visant à déstabiliser les salariés, à créer un climat anxiogène et ayant eu pour objet et pour effet une dégradation des conditions de travail ».

Un « immense accident du travail organisé par l’employeur »

L’affaire remonte à dix ans : France Télécom faisait la une des médias en raison de suicides parmi ses salariés

En juillet 2009, Michel Deparis, un technicien marseillais mettait fin à ses jours en critiquant dans une lettre le « management par la terreur ». « Je me suicide à cause de France Télécom. C’est la seule cause », écrivait-il.

Deux mois plus tard, une première plainte était déposée par le syndicat Sud, suivie d’autres, et d’un rapport accablant de l’inspection du travail .

Le tribunal a examiné en détail les cas de trente-neuf salariés : dix-neuf se sont suicidés, douze ont tenté de le faire, et huit ont subi un épisode de dépression ou un arrêt de travail.

À la barre, les témoignages se sont succédé, donnant une idée précise du travail qui fait sombrer des employés dans la dépression. Il a été question de mutations fonctionnelles ou géographiques forcées, de baisses de rémunération, de mails répétés incitant au départ etc. En 2006, Didier Lombard disait aux cadres que les départs devaient se faire « par la fenêtre ou par la porte ».

L’avocat de la partie civile a parlé d’un « immense accident du travail organisé par l’employeur ».

Ce procès portait notamment sur la période 2007-2010, et les plans « NExT » et « Act » qui visaient à transformer France Télécom en trois ans, avec notamment l’objectif de 22 000 départs et 10 000 mobilités. L’entreprise comptait plus de 100 000 salariés, une centaine de métiers différents, répartis sur près de 23 000 sites.

Un harcèlement moral institutionnel

« Les moyens choisis pour atteindre l’objectif fixé des 22 000 départs en trois ans étaient interdits », a jugé le tribunal, rappelant qu’il faut « concilier le temps et les exigences de la transformation de l’entreprise avec le rythme de l’adaptation des agents qui assurent le succès de cette transformation ». C’était une réduction des effectifs « à marche forcée » ; le volontariat des départs n’était qu’un « simple affichage », selon le tribunal. Le ton de la direction « est donné : ce sera celui de l’urgence, de l’accélération, de la primauté des départs de l’entreprise, de gré ou de force ».

Pour la première fois, ce vendredi, le juge pénal s'est prononcé sur une question apparemment loin de ses bases: le tribunal correctionnel de Paris a dit que la politique d'entreprise menée par France Télécom entre 2007 et 2010 était constitutive d'un harcèlement moral sur l'ensemble de ses 120.000 salariés à l'époque des faits. Le tribunal fait ainsi entrer dans la jurisprudence la notion de harcèlement moral « institutionnel », « systémique », c’est-à-dire étant le fruit d’une stratégie d’entreprise « visant à déstabiliser les salariés, à créer un climat anxiogène et ayant eu pour objet et pour effet une dégradation des conditions de travail ».

Si l’entreprise a annoncé qu’elle ne ferait pas appel en cas de condamnation et Orange a annoncé une procédure d’indemnisation d’éventuelles victimes, son ancien PDG Didier Lombard a par contre décidé de faire appel.

Le jugement de vendredi est « une grande victoire » et une « reconnaissance nette des préjudices subis », a réagi Patrick Ackermann, du syndicat SUD

Jean-Paul Teissonnière, avocat de SUD, a salué « un tournant dans le droit pénal du travail sur la question du harcèlement institutionnel et sur le management toxique ».




Jenny Chase pour DayNewsWorld