LA DONBASS GIRL OU L'IMPOSTEUR AMERICAIN

PORTE-VOIX DE LA RUSSIE

Pour ses partisans, la personne qui se cache derrière le profil "Donbass Devushka", ou "fille du Donbass", est une femme russe originaire de la ville de Louhansk.

Elle s’exprimait avec un léger accent russe. Elle professait son admiration pour Vladimir Poutine aux centaines de milliers d’abonnés à ses différents comptes sur les réseaux sociaux. Mais Donbass Devushka - littéralement la fille du Donbass en russe - n’avait en réalité aucun rapport avec la Russie et parlait parfaitement l’anglais.

En réalité c'est une trentenaire 100 % “made in USA” qui habite dans la région de Washington, aux États-Unis, a confirmé s’appeler Sarah Bils, dans un entretien accordé au Wall Street Journal, dimanche 16 avril. Le célèbre quotidien la présente comme un élément clé dans la diffusion des “Pentagon leaks” - les fameux documents classifiés des services américains de renseignement - sur les réseaux sociaux russes.

Des entretiens avec le gratin des blogueurs pro-Russes

Dans l’interview accordée au Wall Street Journal, Sarah Bils a avoué être derrière le personnage de "Donbass Devushka", ainsi que d’avoir collecté des fonds et hébergé des podcasts sous ce nom. Elle a toutefois ajouté que le compte éponyme était géré par quatorze autres personnes basées "partout dans le monde", sans indiquer leur identité. Selon elle, un autre modérateur de sa chaîne Telegram aurait procédé à la diffusion des informations classifiées, elle étant consciente de "la gravité" de tels documents.

Car “la fille du Donbass” n’est pas seule à faire le jeu de la propagande pro-russe sur ses réseaux sociaux. Depuis 2021, cette ancienne militaire a construit un “petit empire de la désinformation pro-russe”, qui occuperait une quinzaine de personnes depuis sa banlieue nord-américaine, affirme Nafo, un groupe d’activistes pro-Ukrainien, qui ont été les premiers à découvrir la véritable identité de Donbass Devushka.

Sur sa chaîne YouTube elle poste régulièrement de longs entretiens avec tout le gratin des blogueurs et autoproclamés journalistes indépendants pro-russes du monde anglophone. Des personnalités comme Jackson Hinkle ou Eva Bartlett, qui font partie du top 10 des “influenceurs” non russes à soutenir Moscou, d’après l’Institute for Strategic Dialogue, y discutent du “déclin inévitable de l’Occident” ou encore de la manière dont les États-Unis utilisent l’Ukraine pour s’attaquer à la Russie.

Sur Telegram, Sarah Bils n’hésite pas à partager des contenus plus violents avec sa communauté, forte de 65 000 personnes.

Sarah Bils semble être passée maîtresse ès-propagande de Moscou. Son parcours ne laissait pourtant rien présager d'une telle spécialité professionnelle. Malgré ses affirmations, celle qui s’est fait passer pour Donbass Devushka n’a jamais mis les pieds en Russie et encore moins dans le Donbass.

Avant son métier de blogueuse, Sarah Bils avait été promue fin 2020 à un grade de sous-officier supérieur en électronique aéronautique, rappelle le Wall Street Journal, à l’appui des dossiers de promotion publiés sur le site web de la Marine. En novembre de l’année dernière, la trentenaire a toutefois quitté l’armée avec un grade inférieur, une rétrogradation importante qui ne peut être expliquée pour l’heure. Contactés, ni la marine ni le ministère de la Justice américain n’ont souhaité répondre aux questions du journal américain.

Entre temps, elle avait monté une petite entreprise de vente de… nourriture pour poisson. Elle a même participé à des podcasts sur ce thème pourtant très éloigné des considérations russophiles.

"L’antithèse d’une Amérique qu’ils ne supportent plus”

Ce n’est qu’avec le début de la grande offensive de février 2022 que Sarah Bils s’est transformée en acharnée de la cause russe. “Elle a monté l’une des communautés pro-Poutine anglophones qui gagnaient le plus rapidement en popularité”, a affirmé Pekka Kallioniemi, un chercheur à l’Université de Tampere en Finlande et membre du collectif Nafo.

Difficile d’expliquer cette reconversion professionnelle. Mais elle est loin d’être la seule à avoir choisi de devenir influenceur au service de Moscou. “La grande majorité de ces soutiens anglophones à la Russie viennent des États-Unis ou d’Europe”, affirme Jeff Hawn, spécialiste de la Russie et consultant extérieur pour le New Lines Institute, un centre américain de recherche en géopolitique.

Ce n’est pas, pour autant, le signe d’une popularité grandissante de Vladimir Poutine dans le monde occidental, affirme ce spécialiste. “Aux États-Unis, la plupart de ces soutiens de Moscou font la promotion de la Russie parce qu’elle incarne l’antithèse d’une Amérique qu’ils ne supportent plus”, affirme Jeff Hawn.

Avec ces relais dans le monde anglophone, Moscou peut se vanter d’avoir des soutiens populaires. Quoi de plus éloignée, a priori, des couloirs du Kremlin qu’une ancienne militaire reconvertie dans la vente de produits pour poisson dans une petite ville américaine.




Alize Marion pour DayNewsWorld