LA RUSSIE DE VLADIMIR POUTINE

S'APPROPRIE L'APPELLATION CHAMPAGNE

Des livraisons de champagne vers la Russie stoppées net par Moët Hennessy (Ruinart, Moët et Chandon, Veuve Cliquot, Krug, Mercier, Dom Perignon…) le temps d’un week-end. Avant l’annonce d’une reprise de l’approvisionnement « au plus vite » ce dimanche 4 juillet. Que s'est-il passé ?

L'appellation champagne pour les mousseux russes

Depuis trente ans, les producteurs de champagne livrent une guerre sans merci contre les vins pétillants qui se prévalent de leur appellation à travers le monde. Mais ils ont perdu une importante bataille en Russie, où Vladimir Poutine a donné son accord , le 2 juillet 2021, à un amendement de la loi sur la réglementation des boissons alcoolisées.

Ce texte prévoit notamment que seuls les vins mousseux russes peuvent être étiquetés comme du « champagne » tandis que le véritable champagne français doit lui se contenter de « vin pétillant ». Cet amendement indique clairement que la législation russe ne tiendra pas compte de la protection de l’appellation française « champagne AOC ».

Et pourtant pas la même méthode

Pas exactement le même breuvage, comme le rapporte le quotidien l’Union de Reims. Alors que le vrai champagne vit une seconde fermentation dans la bouteille (la « méthode champenoise ») et s’élabore en un an et demi, le jus de raisin russe circule trois semaines dans une série de cuves emplies de copeaux de bois ensemencés de levures. Question goût, le journaliste Emmanuel Grynszpan avait qualifié ce « champanskoïe » de « mousseux affreusement sucré, trafiqué et dépourvu d’arôme, mais présent absolument partout » Car la production, équivalente en volume à celle du champagne, est essentiellement consommée en Russie.

Un dossier épineux d'un point de vue juridique

« Scandalisés », les producteurs français, réunis au sein du Comité champagne, sont montés au créneau lundi en interpellant le ministère français des Affaires étrangères et les autorités européennes.

Le dossier s'annonce cependant épineux d'un point de vue juridique. Selon la réglementation internationale, les vins de Champagne ont bien le droit exclusif d'utiliser le nom « Champagne »... mais en caractères latins. Or, la législation russe interdit aux producteurs français l'usage du mot champagne en cyrillique, l'écriture utilisée pour la langue russe. « Cette réglementation n'assure pas aux consommateurs russes une information claire et transparente sur l'origine et les caractéristiques des vins », assure le Comité Champagne regrettant que cette loi « remette en cause plus de vingt ans de discussions bilatérales entre l'Union européenne et la Russie sur la protection des appellations d'origine. »

Le leader français LVMH se plie au marché russe

Ce bras de fer a toutefois tourner à l'avantage de Moscou, comme l'a montré la volte face de LVMH. Le puissant groupe de luxe français possède notamment Moët Hennessy, l'un des plus gros producteurs de champagne. Au lendemain de la signature de la loi, LVMH a d'abord suspendu ses livraisons. Mais dimanche soir, sa filiale Moët Hennessy a finalement indiqué qu'il reprendra « au plus vite » les livraisons. « Les Maisons de Champagne de Moët Hennessy ont toujours respecté la législation en vigueur partout où elles opèrent et reprendront les livraisons au plus vite le temps d'effectuer ces ajustements », a indiqué, dans un communiqué, le producteur. Dans un courrier destiné à ses clients russes et auquel le quotidien économique Vedomosti a eu accès, la société française a annoncé devoir réaliser une nouvelle certification de ses produits, qui devrait coûter plusieurs millions de roubles. Ayant accepté, dimanche 4 juillet, de se plier aux requêtes russes, elle doit changer ses étiquetages et renommer ses produits dans le respect de la nouvelle législation. Le quotidien russe rappelle que 13 % des 50 millions de litres de mousseux et champagne importés chaque année en Russie viennent de France. La Russie se place en 9ème position des pays consommateurs de vins avec 890 millions de litres écoulés en 2017.

Une AOC menacée dans le monde entier

En Russie, cela fait longtemps que le terme « champagne » est utilisé sans complexe et pour toutes sortes de vins pétillants. Avec cet amendement, les autorités russes souhaitent certainement mettre en valeur les producteurs de vins pétillants locaux.

Staline fit créer à la fin des années 1930 un « champagne soviétique » produit en masse, avec l’objectif de le rendre accessible à tous, bas de gamme, mais toujours aussi populaire lors des grandes occasions.

L'Abrau-Durso est un «champagne» russe qui avait conquis le cœur des tsars et qui est aujourd’hui encore servi au Kremlin. Produit au bord du lac Abrau, dans la région de Krasnodar (Sud de la Russie), il a remporté plusieurs prix et titres lors de compétitions internationales

Les mousseux de Crimée avec leurs producteurs ancestraux ont connu une deuxième jeunesse à la suite de l’annexion de la péninsule en 2014 et leur pleine ouverture au marché russe. La marque phare du pays, le vin criméen Novy Svet, appartient à un ami du président russe, Iouri Kovaltchouk.

En France, deux appellations au prestige équivalent à celui du champagne sont jalousement gardées : bordeaux et cognac. «  En bordelais, les appellations comme Margaux ou Saint-Emilion, mais aussi les mentions de classements de grands crus, sont régulièrement copiées et usurpée », détaille Jean-Baptiste Thial de Bordenave, directeur du cabinet d’avocats spécialisés dans le droit des vins et spiritueux DLLP Wine . Cognac, elle, a réussi à interdire à l’Arménie d’utiliser son nom pour désigner l’eau de vie de qualité qu’elle produit et exporte à grande échelle depuis.... l’ère soviétique.

« Les Russes ont renversé la table, constate le juriste Jean-Baptiste Thial de Bordenave, basé à Bordeaux. C’est digne d’une histoire de Tintin, tellement grosse que je ne peux m’empêcher de la voir comme une mesure de rétorsion dans un différent commercial plus vaste. Ou comme une décision populiste de court terme à des fins de politique intérieure. »...




Joanne Courbet pour DayNewsWorld