AVEC ELON MUSK TWITTER PEUT-IL DEVENIR

 LE RESEAU SOCIAL DE LA LIBERTE D'EXPRESSION ?

Elon Musk devient le propriétaire de la plateforme Twitter qu'il considère comme «la place publique numérique où les sujets vitaux pour le futur de l'humanité sont débattus», d'après une citation dans le communiqué. L’homme le plus riche du monde – 250 milliards d’euros au dernier pointage — avait annoncé début avril sa participation de 9,1 % dans Twitter. Elon Musk , qui a décidé de ne pas rejoindre le conseil d’administration de la société de microblogging, en est devenu le premier actionnaire devant le fondateur Jack Dorsey.

Outre-Atlantique, personne ne semble indifférent aux efforts visant à redonner de la voix à ce qui fut le « mégalophone » préféré de Donald Trump. A six mois d'élections législatives clés pour la Maison-Blanche, l'acquisition de Twitter par Elon Musk est redoutée par une partie de la classe politique américaine, approuvée par l'autre partie. Selon un récent sondage YouGov, plus de trois électeurs de Donald Trump sur quatre (77 %) approuvaient ces derniers jours le projet d'Elon Musk, contre seulement 20 % des électeurs de Joe Biden.

De fait, les réactions recoupent très largement les clivages politiques. À droite, les pourfendeurs du « politiquement correct » se réjouissent. Ils jugent l’arrivée du milliardaire libertarien très prometteuse dans leur combat contre « la censure de Bigh Tech », surnom onné aux grandes entreprises de la Silicon Valley. Sur Twitter, l’organisation qui rassemble les députés républicains a ainsi appelé Elon Musk à « libérer » le compte de Donald Trump, banni depuis l’assaut du Capitole. À gauche, en revanche, on s’inquiète de l’arrivée à la tête de Twitter d’un homme qui, comme l’écrit le New York Times dans un éditorial, « utilise la plateforme pour traîner ses critiques dans la boue, ironiser sur le physique de certaines personnes et faire la promotion des cryptomonnaies ». Robert Reich, ancien ministre de Bill Clinton, parle d’« un cauchemar ».

C'est que l’homme d’affaires de Tesla et SpaceX a indiqué qu’il apporterait des améliorations à la plateforme et en premier lieu qu'il adhérait au principe de la liberté d’expression.Le patron de Tesla en a profité pour réitérer sa volonté d’assouplir la modération des contenus diffusés sur la plateforme : « la liberté d’expression est la pierre angulaire d’une démocratie qui fonctionne, a-t-il souligné dans le communiqué de presse annonçant l’opération. Twitter est l’agora virtuelle dans laquelle on débat des enjeux qui décideront de l’avenir de l’humanité. ». Et Twitter compte 217 millions d’utilisateurs actifs et monétisables dans le monde dont 38 millions aux États-Unis. Une sacrée caisse de résonance !

Elon Musk, qui se décrit comme « un jusqu’au-boutiste de la liberté d’expression », a déclaré lors de l’entretien TED du 14 avril 2022 que Twitter était « une agora » et qu’il était « très important que cette agora soit un espace inclusif de liberté d’expression ».

Liberté d'expression, censure, voire désinformation?

Or les Républicains dénoncent régulièrement la censure des réseaux sociaux, et notamment de Twitter. Pendant la campagne présidentielle de 2020, le fondateur du réseau social à l'oiseau bleu, Jack Dorsey, avait été le moins réticent, parmi les grandes plateformes, à modérer davantage les contenus, d'abord en refusant les publicités politiques puis en contextualisant davantage les prises de parole. Mais Twitter avait finalement censuré de manière « permanente » l'ensemble des comptes de Donald Trump, après l'attaque du Capitole par ses partisans, le 6 janvier 2021.

Elon Musk a déjà déclaré, lors d'une interview avec le patron des conférences TED, qu'il était opposé à ce type de sanctions à durée illimitée. Il n'est pas donc pas exclu que le compte de Donald Trump puisse être rétabli même si ce dernier a déclaré lundi sur Fox News qu'il ne reviendrait pas sur ce réseau social à la suite du rachat de la plateforme. Il a précisé qu'il rejoindra officiellement sa propre plateforme baptisée « Truth Social » au cours des sept prochains jours, comme prévu.

Elon Musk , souvent proche des idées des libertariens, connaît bien les usages de Twitter pour l'utiliser fréquemment... et provoquer tout aussi régulièrement jouissant pleinement de sa liberté d'expression. Le 14 mars dernier, il avait ainsi défié le président russe Vladimir Poutine «dans un combat d'homme à homme. L'enjeu est l'Ukraine», avait-il écrit sur Twitter, en s'adressant au compte Twitter officiel du Kremlin. Et face à l'incompréhension d'une internaute, Elon Musk avait assuré qu'il était «tout à fait sérieux».

Mais cette volonté de liberté d'expression à tout prix  peut-il se passer pour tout réseau social d'être réguler ?

Modération ou pas ?

Elon Musk a pour projet de générer les revenus de Twitter à partir des abonnements plutôt qu’à partir de la publicité. Or en s’épargnant le souci d’attirer et de retenir les annonceurs, Twitter aurait moins besoin de se concentrer sur la modération du contenu. Twitter deviendrait ainsi une sorte de site d’opinion, pour des abonnés payants, dénué de contrôle. La description faite par Elon Musk d’une plateforme qui ne se préoccupe plus de modérer le contenu est inquiétante en considération des préjudices causés par les algorithmes des médias sociaux.

Le témoignage de la lanceuse d’alerte Frances Haugen, ancienne employée de Facebook, et les récents efforts de réglementation, tels que le projet de loi sur la sécurité en ligne dévoilé au Royaume-Uni ou les futures législations de l’Union européenne, montrent que le public est largement préoccupé par le rôle joué par les plates-formes technologiques dans la formation des idées de société et de l’opinion publique. L’acquisition de Twitter par Elon Musk met en lumière toute une série de préoccupations réglementaires.

En raison des autres activités d’Elon Musk, la capacité de Twitter à influencer l’opinion publique dans les secteurs sensibles de l’aviation et de l’automobile provoque d'ailleurs automatiquement un conflit d’intérêts, sans compter les implications quant à la divulgation des informations importantes nécessaires aux actionnaires. En ce sens, Elon Musk a déjà été accusé de retarder la divulgation de sa participation dans Twitter.

C'est pourquoi depuis 2016, la gauche américaine rêve d’une régulation efficace des réseaux sociaux, mais l’élection de Joe Biden n’a pas permis de faire avancer le dossier. L’un des militants les plus ardents de cette cause n’est autre que Barack Obama. Ces derniers jours, l’ancien président se trouvait dans la Silicon Valley pour évoquer à nouveau cette question.Devant les étudiants de Stanford, il a insisté sur les dangers que les réseaux sociaux faisaient courir à la démocratie. Parmi les pistes qu’il a suggérées figure la supervision des algorithmes par une autorité de régulation, au même titre que les voitures ou l’agroalimentaire. Barack Obama est la personnalité la plus suivie sur Twitter.

« Rien n’empêche Elon Musk de racheter Twitter, c’est son droit, c’est la loi du marché, il n’y a aucune raison de s’y opposer. Mais d’ici quelques mois, il devra se soumettre au Digital Services Act lorsqu’il opérera sur le territoire européen », met en garde de son côté l’eurodéputé Geoffroy Didier (Les Républicains), qui a participé aux négociations de ce nouveau règlement, le désormais célèbre « DSA », ou « législation sur les services numériques » en français, qui a fait l’objet d’un accord entre le Parlement européen et les États membres le samedi 23 avril.

« J'espère que même mes pires critiques resteront sur Twitter, parce que c'est ce que la liberté d'expression veut dire », a renchéri Elon Musk lundi. Une façon de répondre à ses critiques, qui considèrent qu'il y a un risque que le milliardaire cherche à censurer les comptes qui sont en désaccord avec lui sur la plateforme et à faire, à son tour, de la désinformation...




Alize Marion pour DayNewsWorld