PRIX NOBEL DE MEDECINE AUX PIONNIERS DES VACCINS ARN MESSAGER

KATALIN KARIKO ET DREW WEISSMAN

Le Nobel de médecine a été attribué le lundi 2 octobre à Katalin Kariko de Hongrie et Drew Weissman des États-Unis pour leurs percées majeures dans le domaine des vaccins à ARN messager, cruciales dans la lutte contre le Covid-19.
Le jury a salué ces deux chercheurs "pour leurs découvertes liées aux altérations des bases nucléiques ayant rendu possible le développement de vaccins ARNm efficaces contre le Covid-19", lors de l'annonce du prix. 

Ces lauréats ont accéléré le développement de ces vaccins face à l'une des plus grandes menaces contemporaines pour la santé humaine.
Cette distinction s'accompagne d'une récompense financière record de onze millions de couronnes suédoises (environ 920 000 euros), établissant un nouveau sommet nominal dans l'histoire centenaire des prix Nobel. 

La Fondation Nobel avait relevé le montant de cette dotation en septembre grâce à une situation financière favorable.
En 2022, le Nobel de médecine avait été décerné à Svante Pääbo, un pionnier de la paléogénomique suédois, pour ses travaux révolutionnaires sur le séquençage complet du génome de l'homme de Néandertal. Il a fondé cette discipline qui explore l'ADN ancestral pour éclairer la génétique contemporaine .

L’ARN messager est tout sauf « expérimental »

L'attribution du prix Nobel de médecine 2023 souligne de manière éclatante que l'ARN messager est tout sauf une technologie "expérimentale". En récompensant les travaux de Katalin Kariko et Drew Weissman sur les vaccins à ARN messager, l'Académie consacre un long et laborieux parcours de découverte.
Il y a 25 ans, en 1997, la chercheuse hongro-américaine Katalin Kariko présente ses recherches sur l'ARN messager, connu depuis les années 60, à son nouvel associé, Drew Weissman. À l'époque, ses tentatives ne portent pas leurs fruits, ce qui lui coûte son poste de biochimiste à l'Université de Philadelphie. Pendant plusieurs années, malgré des changements de laboratoire, ses recherches n'aboutissent pas : à chaque essai, l'ARN provoque des inflammations chez les souris que le vaccin est censé protéger.

Ce n'est qu'en 2005, après de nombreuses années d'essais, que Kariko et Weissman rencontrent le succès. L'idée de modifier l'ARN pour ne pas alerter le système immunitaire se révèle être la clé de cette réussite, la fondation des vaccins tels que nous les connaissons aujourd'hui.

Un long et laborieux parcours de découverte.

Cependant, le chemin reste encore très long avant que cette technologie novatrice soit adoptée par les grandes entreprises pharmaceutiques. Des années après la publication de leurs recherches, elles ne suscitent guère l'intérêt des géants de l'industrie pharmaceutique. Seules Moderna (fondée en 2010) et BioNTech (fondée en 2008), deux sociétés de biotechnologie, s'intéressent aux travaux des deux chercheurs. 

En 2013, Katalin Kariko fait le choix de BioNTech.
C'est à ce moment que commencent les collaborations avec de grandes entreprises : Pfizer en 2018, pour le développement d'un vaccin contre la grippe; Sanofi en 2019 pour un traitement contre le cancer, ainsi que la fondation Bill et Melinda Gates cette même année... 

La recherche de vaccins utilisant la technologie de l'ARN est alors menée sur tous les fronts.
Cependant, c'est bien évidemment durant la pandémie de Covid que ces années d'efforts portent leurs fruits, avec le développement du premier vaccin à ARN messager pour les humains. Ce n'est pas un hasard : Pfizer est déjà partenaire de BioNTech, et la solution ARN semble être la plus prometteuse pour le géant américain. Pourquoi ? Justement parce que cette technologie, connue depuis des décennies, a atteint un point de maturité.
Le premier vaccin à ARN sur l'homme contre la rage, testé en... 2013

Le parcours de Katalin Kariko et Drew Weissman reflète en condensé cette longue et très longue histoire du développement de la technologie de l'ARN modifié. Depuis sa première utilisation en laboratoire en 1984, des centaines de chercheurs ont travaillé à l'élaboration d'une solution efficace, et surtout, stable. Ce qui caractérise cette évolution technologique, ce sont bien plus les obstacles surmontés que sa rapidité pour parvenir sur le marché, comme cela a été le cas avec les vaccins contre le Covid en 2020-2021.
Les recherches de Katalin Kariko à la fin des années 90 ont certes propulsé l'ARN vers l'avant, mais ce n'était pas suffisant. Jusqu'au début des années 2000, la fragilité de l'ARN modifié rendait son injection inefficace, car il était immédiatement détruit. 

La solution fut de l'encapsuler dans des lipides pour éviter sa dégradation, et il a fallu attendre 2012 pour que cette méthode s'impose dans le milieu scientifique. Encore une fois, de nombreuses répliques en laboratoire ont été nécessaires.
Quant aux tests sur des sujets humains, ils ne sont pas récents. Le premier vaccin à ARN expérimenté sur l'homme était un traitement préventif contre la rage, testé en... 2013. Puis jusqu'en 2020, des vaccins candidats contre le virus Zika, contre Ebola, ou encore le H1N1 ont fait l'objet d'essais cliniques sur des patients.

L'urgence de la pandémie de Covid a levé les obstacles financiers et administratifs, tout en créant une énorme demande pour un vaccin. Cela a permis au traitement à base d'ARN contre le Sars-CoV-2 d'arriver plus tôt que les autres.

Cependant, qualifier ce vaccin de solution "expérimentale" est une offense envers les lauréats du prix Nobel de médecine 2023, tout comme envers la multitude de chercheurs qui ont contribué à la maturation de cette technologie.




Simon Freeman pour DayNewsWorld