There are no translations available.

L'AFFAIRE MCKINSEY OU LE CAUCHEMAR D'EMMANUEL MACRON

Ce qu'il est désormais commun d'appeler « affaire McKinsey » émeut une partie de l'opinion, consternée par la supposée proximité entre Emmanuel Macron et un cabinet de conseil, soucieuse d'une saine gestion des deniers publics et inquiète de voir une partie des prérogatives stratégiques de l'État potentiellement sous-traitée à une entreprise privée américaine.

En effet mi-mars, un rapport sénatorial a dénoncé la « dépendance » du gouvernement français et des pouvoirs publics aux cabinets de conseil, ainsi que l'optimisation fiscale pratiquée par l'entreprise américaine, sous les yeux de l'administration fiscale. Jeudi 17 mars, un rapport sénatorial alertait sur le poids des cabinets de conseil dans la mandature actuelle.

Les élus du Palais Bourbon estiment à plus d'un milliard d’euros l’enveloppe allouée par le gouvernement à ces conseils en tous genres (pas uniquement McKinsey.) Ce chiffre a plus que doublé en cinq ans. A tel point que les journalistes de l’Obs Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre évoquent un « putsch progressif, presque rampant, sans effusion de sang » mais qui « a changé la France » dans un livre-enquête publié en février dernier. Comment un cabinet de conseil a-t-il pu prendre une telle place au cœur de la gouvernance d'un pays ? C'est la question que pose le « McKinseygate »

Pour ces raisons le sujet du « McKinsey Gate » s’est immiscé dans la campagne présidentielle. Le Président français risque de traîner ce dossier comme un boulet jusqu'à l'élection présidentielle.

La stratégie de défense offensive d'Emmanuel Macron

À deux semaines du premier tour, le président-candidat Emmanuel Macron a ainsi mis au défi les accusateurs : « s’il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal », a-t-il ainsi lancé lors d’une émission dimanche 27 mars 2022, sur France 3. Face à la virulence des réactions, le Président, tentant de se justifier pour éteindre la polémique, a donc choisi la solution offensive, en invitant ses accusateurs à régler le problème devant les tribunaux , une attitude qui  rappelle furieusement le « qu'ils viennent me chercher » dans l'affaire Benalla. Autre point commun d'ailleurs avec l'affaire Benalla, le Sénat a saisi la justice pour « suspicion de faux témoignage » dans le cadre de cette commission d'enquête à propos de Karim Tadjeddine, responsable du pôle secteur public de McKinsey. ..

Quid du cabinet international de conseil McKinsey ?

McKinsey est un cabinet international de conseil qui emploie près de 30 000 personnes dans 65 pays. Surnommée « La Firme », cette entreprise américaine a vocation à fournir du conseil et des recommandations à des acteurs privés et publics sur des thématiques très variées, au même titré que des entreprises comme KPMG ou encore Capgemi ; Ce cabinet a été mis en lumière par un rapport de la commission d’enquête du Sénat publié le 17 mars à propos de l’influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques.

Les thématiques sur lesquelles le gouvernement a fait appel à McKinsey sont extrêmement variées. Cela va de la réforme du mode de calcul des APL (3,88 millions d'euros) jusqu'à la gestion de la campagne vaccinale contre le Covid (12,33 millions d'euros) en passant par l'organisation d'un colloque international commandé par l'Education nationale (496 800 euros) qui a finalement été annulé à cause du Covid. Un rapport en vue de préparer la réforme des retraites avait également été réalisé, pour 950 000 euros, alors que cette dernière a été reportée.

Une dépendance de l'Etat envers ces cabinets privés

Si le recours à ces cabinets est une réalité internationale systémique, depuis plus d'une décennie, le premier souci qui ressort de ce rapport sénatorial, rendu public le 17 mars et consultable par tous, concerne la place qu'ont pris les cabinets de conseil dans la fabrique des politiques publiques. Ils y décrivent des pans entiers de la puissance publique tombés sous l’influence de consultants, pour beaucoup issus de sociétés anglo-saxonnes. Ainsi, les sénateurs expliquent que « le recours aux consultants constitue aujourd'hui un réflexe », ces cabinets étant pour les sages « au cœur des politiques publiques ». À tel point que les parlementaires évoquent une situation de « dépendance » de l'Etat envers ces cabinets.

Explosion des dépenses...

Dans leur rapport, les sénateurs mettent également en avant l'explosion des dépenses liées au conseil dans les différents ministères. En 2021, ce sont plus d’un milliard d’euros qui ont été versés dont 893,9 millions par les ministères à plusieurs cabinets de conseil, pas seulement McKinsey. Ce chiffre a plus que doublé en quatre ans. En 2018, les dépenses des ministères pour des cabinets de conseil n’atteignaient « que » 379,1 millions d’euros.En 2021, le gouvernement Castex a ainsi dépensé la somme de 893,9 millions d'euros contre 379,1 millions en 2018, plus du double.

Doublée d'optimisation fiscale

Autre élément pointé par le rapport concerne la fiscalité, les parlementaires allant même jusqu'à parler d'un « exemple caricatural d'optimisation fiscale » . D'autant que la maison mère se trouve au Delawere, « considéré par l'OCDE et l'article 238-A de notre Code des impôts comme disposant d'un "régime fiscal privilégié" propre à focaliser l'attention française. « Le constat est clair : le cabinet McKinsey est bien assujetti à l'impôt sur les sociétés en France mais ses versements s'établissent à zéro euro depuis au moins dix ans, alors que son chiffre d'affaires sur le territoire national atteint 329 millions d'euros en 2020, dont environ 5% dans le secteur public, et qu'il y emploie environ 600 salariés ».

Pour des résultats d 'une « valeur ajoutée quasi-nulle, contre-productive parfois »

Une journée de consultant coûte en moyenne 1 528 euros à l'État, a calculé la commission d'enquête. Le rapport du Sénat met le doigt sur des missions payées très cher pour des résultats discutables

496 800 euros à McKinsey pour un colloque sur le métier d'enseignant (colloque finalement annulé)

558 900 euros au BCG et à EY pour une convention des managers de l’État, qui devait réunir 1 821 hauts fonctionnaires en décembre 2018 (annulée à cause des gilets jaunes puis de la crise sanitaire).

280 200 euros à Cap Gemini pour une mission visant à « structurer un réseau de professionnels soutenant les parcours de vie des personnes en situation de handicap ». Travaux jugés par la DITP d’une « compréhension limitée du sujet », d’une « absence de rigueur sur le fond comme sur la forme » et d’une « valeur ajoutée quasi-nulle, contre-productive parfois », mais travaux payés.

373 740 euros à Inop's en 2019 pour une prestation d’accompagnement à la transformation de la direction générale des entreprises (DGE). Prestation marquée selon la DITP par un « Manque de rigueur, une absence de pilotage par le manager », favorisant la restitution de « nombreux livrables d’une qualité irrecevable ». Prestation payée.

« Si l’expertise des consultants n’est pas remise en cause, leurs livrables ne donnent pas toujours satisfaction », lit-on dans le rapport. « Les productions des consultants ne donnent que rarement des résultats à la hauteur des prestations attendues. »

Des conclusions sans appel : selon le Sénat, les méthodes « disruptives », proches de celles des start-up, utilisées par les cabinets de conseils ne sont pas toujours adaptées à la fonction publique. Le rapport pointe aussi des travaux « inégaux » qui n’apportent pas toujours satisfaction et estime que les résultats pourraient être meilleurs et moins chers en s’appuyant sur des ressources internes.

 La commission d'enquête conclut  à ce propos : « On peut alors légitimement s’interroger sur l’intérêt que trouve l’État, au-delà des arguments convenus, à recourir à des consultants parfois peu expérimentés, mal encadrés, qui n’ont qu’une connaissance restreinte du secteur public et dont les livrables lui imposent parfois un important travail de correction ».

Et quid du rôle de la haute -fonction publique ?

« Avec le recours aux cabinets de conseil, on a d’abord un sujet de confiance et d’organisation de l’administration. La gouvernance d’Emmanuel Macron repose sur un paradoxe originel. Il s’agit d’un triomphe de la technocratie qui semble s’émanciper de la tutelle des politiques et des partis, du contrôle militant et du personnel politique. Emmanuel Macron, Alexis Kohler et nombre de ministres incarnent cela. », résume un analyste dans Atlantico « Le triomphe du monde d’après est surtout marqué par la victoire de jeunes technocrates brillants sur leurs aînés ayant suivi le cursus honorum politique classique. », poursuit-il.

Quel intérêt alors de recourir à ces cabinets de conseil ?

La « maîtrise de l’incertitude » ou soif de « réassurance »

Les dépenses de conseil dépendent fortement d’une autre dimension culturelle appelée « maîtrise de l’incertitude » (c’est-à-dire la mesure dans laquelle on cherche à réduire l’incertitude dans un pays). Les dépenses de conseil sont ainsi beaucoup plus élevées dans les pays où la volonté de maîtriser l’incertitude est forte, comme l’Allemagne ou l’Autriche, que dans les pays où elle est faible, comme l’Italie ou le Portugal. La France se situe entre ces extrêmes. En bref, les dirigeants font plus appel aux consultants pour se rassurer que pour résoudre des problèmes qui pourraient souvent être réglés sans aucune aide extérieure. Comme l’a bien résumé un consultant dans la revue McKinsey Quarterly :« Pour la plupart des dirigeants, une seule chose est pire que faire une erreur : être le seul à la commettre. » « Cette soif de « réassurance » semblerait également expliquer la popularité des consultants auprès de l’État français...

Opacité du système et des conflits d’intérêt : la campagne de 2017

L'opacité du système s’appuie par ailleurs sur la présence historique de consultants dans les différents écosystèmes de la macronie. Selon le magazine M, une dizaine de salariés de McKinsey ont participé à l’élaboration du programme d’Emmanuel Macron en 2017, et les allers-retours sont nombreux entre la « firme » McKinsey et la macronie. Face au tollé suscité par la publication de ce rapport sénatorial, McKinsey a tenu à rappeler qu'elle respectait « l'ensemble des règles fiscales et sociales françaises applicables ». Mais malgré tout, le Sénat continue de douter sur la véracité de ces déclarations et a annoncé vendredi 25 mars avoir saisi la justice pour « suspicion de faux témoignage ». Karim Tadjeddine est un proche d'Emmanuel Macron, artisan de sa campagne en 2017. Lors de son audition au Sénat, il reconnaît avoir mélangé les genres en utilisant son adresse McKinsey pendant la campagne de 2017 pour ses conseils de campagne. Il admet que c'était une « erreur »...

Pour qui travaille au fond McKinsey sur les deniers de l'État ?

Le rapport du Sénat ne tire aucune conclusion à ce propos, mais c'est une question qui se pose en filigrane à la lecture de ce rapport. Ce n'est qu'un des aspects de ce phénomène « tentaculaire » décrit par le Sénat

Un point de fragilité qui peut coûter cher au candidat Macron, selon Cloé Morin

Pour la politologue Chloé Morin, qui s’est interrogée sur l’efficacité de l’administration dans Les inamovibles de la République (l’Aube) en 2020, l’affaire McKinsey représente un « point de fragilité qui peut coûter cher au candidat Macron ». Les macronistes savent que cette polémique a plus de chances que les autres de s’installer dans le paysage. « Elle entre en résonance avec le procès fait au macronisme : le monde de l’argent, la confusion public-privé, l’ancien banquier de Rothschild, le soutien des grands patrons », énumère un conseiller.

Le candidat de Reconquête ! n’a d'ailleurs pas hésité mardi, sur Europe 1, à parler non seulement de la « soumission aux Etats-Unis » d’Emmanuel Macron mais également de conflit d'intérêt . « Je pense qu’on pourrait aujourd’hui, justement, accuser M. Macron d’avoir renvoyé l’ascenseur et d’avoir donné de l’argent public au groupe McKinsey, parce que les gens de McKinsey ont travaillé pour sa campagne électorale » de 2017, a-t-il accusé.

Une controverse qui arrive donc pour les macronistes au mauvais moment, en période d’égalité de temps de parole et au terme de plusieurs mois d’une politique étatiste et protectrice qui avait gommé l’image du « président des riches » et de seulement une dizaine de jours du premier tour..

La majorité craint que l’affaire ne pousse encore un peu plus haut la candidature de Marine Le Pen, dans un contexte de flambée des prix de l’énergie...

« Avec Emmanuel Macron, McKinsey, qui vous a coûté l’an dernier 1 milliard d’euros pour des missions bien floues, continuera à se gaver d’argent public, à ne pas payer d’impôts et à se permettre de mentir devant le Sénat ! », a-t-elle assuré brutalement à ses militants.


Garett Skyport pour DayNewsWorld