LE SOUDAN AU BORD DE LA GUERRE CIVILE TOTALE SELON L'ONU

Un raid de l'armée de l'air sur un quartier résidentiel de Khartoum a tué des dizaines de civils au Soudan, samedi 8 juillet. Les bombardements ont eu lieu sur le quartier de Dar al-Salam, littéralement "la maison de la paix" en arabe, à Omdourman, la banlieue nord-ouest de Khartoum. Ils ont fait selon le ministère local de la Santé "22 morts et un grand nombre de blessés parmi les civils".

Sur Facebook, le ministère a posté une vidéo montrant des corps sans vie, certains aux membres déchiquetés, dont plusieurs de femmes. De leur côté, les Forces de soutien rapide, en guerre contre l'armée depuis le 15 avril, ont dénoncé "la perte tragique de plus de 31 vies et de nombreux blessés".

"Une absence totale de respect du droit humanitaire et des droits humains"

Le Soudan est "au bord de la guerre civile totale", alerte l'ONU. L'organisation estime que la situation est "potentiellement déstabilisatrice pour toute la région". En près de trois mois de guerre entre les paramilitaires du général Mohamed Hamdane Daglo et les troupes régulières du général Abdel Fattah al-Burhane, près de 3 000 morts ont été recensés – un bilan très sous-estimé, tant les corps qui jonchent les rues sont inaccessibles. Près de trois millions de Soudanais sur les 45 ont été forcés de quitter leur maison tant les exactions venues des deux camps se multiplient.

Khartoum et le Darfour sont en première ligne, mais les combats se sont étendus à d'autres villes du Nord et du Sud. Pendant la première semaine, "les deux tiers des combats (…) ont eu lieu dans des villes de plus de 100 000 habitants", relève l'Armed Conflict Location & Event Data Project.

"Les deux forces en guerre ont utilisé à plusieurs reprises des armes explosives dans les zones urbaines, causant la perte de vies civiles", rapporte Human Rights Watch.

Dans certaines zones de combat, des membres des FSR se transforment en pillards. Ils s'emparent d'immeubles, d'écoles, de commerces ou de centres de soins. Des bureaux et entrepôts d'humanitaires ont été dévalisés. Au Darfour, des habitations et marchés ont été incendiés.

Un des porte-parole du secrétaire général de l'ONU a ainsi dénoncé "une absence totale de respect du droit humanitaire et des droits humains", notamment au Darfour, région martyre dans les années 2000, de nouveau au cœur de combats ayant repris une "dimension ethnique".

Une lutte de pouvoir entre les deux généraux les plus puissants du Soudan.

Des affrontements meurtriers ont éclaté dès le 15 avril au Soudan entre les Forces armées soudanaises dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, et les Forces de soutien rapide, une milice paramilitaire dirigée par le général Hemetti..

Ces violences sont l’aboutissement de plusieurs mois de tension entre les deux groupes et surtout leurs deux chefs.

A l'origine de cette situation, une lutte de pouvoir entre les deux généraux les plus puissants du Soudan. D'un côté, le chef de l'armée, Abdel Fattah al-Burhan, qui dirige de facto le pays. De l'autre, son numéro deux, le général Mohamed Hamdane Daglo, surnommé « Hemetti », à la tête des Forces de soutien rapide (RSF, en anglais), une puissante force paramilitaire.

Pour comprendre cette rivalité, il faut remonter au 11 avril 2019. Ce jour-là, le dictateur Omar el-Béchir est renversé par un coup d’État militaire. Al Burhan et sa junte prennent le pouvoir. Hemetti est numéro deux du régime. Le Soudan se dirige vers un transfert du pouvoir aux civils, mais en octobre 2021, les militaires font un nouveau putsch. Al Burhan et Hemetti sont à la manœuvre pour faire échouer la transition démocratique.

Comment en est-on arrivé là ?

En octobre 2021, les deux généraux ont donc fait front commun pour évincer les civils avec lesquels ils partageaient le pouvoir depuis la chute du dictateur Omar el-Béchir en 2019.

« Un mariage de raison » pour le putsch, explique le chercheur Hamid Khalafallah. « Ils n’ont jamais eu de partenariat sincère mais des intérêts communs face aux civils ».

Et les brèches de l’union sacrée sont rapidement apparues au grand jour : Le chef des Forces de soutien rapide (FSR), Hemedti, a plusieurs fois dénoncé l’« échec » d’un putsch qui a réinstauré « l’ancien régime » de Béchir, selon lui. Puis le conflit s’est intensifié quand il a fallu signer les conditions d’intégration de ses hommes aux troupes régulières, dans le cadre de l’accord avec les civils qui devait relancer la transition démocratique.

Pour les experts, cet accord a ouvert la boîte de Pandore : en laissant les militaires négocier entre eux, « Hemedti est passé du statut de second à celui d’égal de Burhane », affirme Kholood Khair, qui a fondé le centre de recherche Confluence Advisory à Khartoum. Se sentant « plus autonome face à l’armée », Hemedti a vu une opportunité de réaliser « ses très grandes ambitions politiques », abonde Alan Boswell, en charge de la Corne de l’Afrique à l’International Crisis Group.

La question épineuse restait à régler : comment intégrer les Forces de soutien rapides de Hemetti au sein de l’armée régulière. Et puis qui pour contrôler les soldats ? 

Qui pour contrôler les armes ?

Autre pomme de discorde, la présence depuis le règne d'Omar el-Béchir de nombreux officiers islamistes dans l'armée soudanaise, que le général Hemedti souhaitaient purger. Depuis le coup d’État d’octobre 2021, le courant islamiste, qui bénéficiait déjà d’importants soutiens au sein de l’armée, s’est renforcé avec la bénédiction du général al-Burhan. C’était l’un des principaux points de crispation avec le général Hemedti.

Les deux généraux ont des positions opposées.

L'armée voulait une intégration très rapide, dans une échéance d’un ou deux ans. Le général Al-Burhan, soutenu par l’Égypte, et sous pression de certains cadres islamistes de l’armée, conditionnait la signature de l’accord à l’intégration des RSF dans les rangs de l’armée, sous son commandement.

Les RSF voulaient garder une autonomie jusqu'à une dizaine d'années. Hemetti refusait catégoriquement de laisser son rival commander ses hommes et acceptait de placer ses forces seulement sous l’autorité d’un chef d’État civil, et à condition que l’armée soit purgée de ses éléments islamistes. Cette réforme de la sécurité, enjeu central du transfert de pouvoir vers les civils, a donc mis le feu aux poudres.

Ancienne rivalité de puissance économique

Mais la rivalité entre les deux hommes est plus ancienne. Depuis des années, les Forces de soutien rapide du général Hemetti n’ont cessé de monter en puissance. Constituée de 80 à 120 000 hommes, bien équipés, bien entraînés, cette force en forme d’électron libre, qui ne répondait pas au pouvoir central, a suscité un mécontentement dans l’état-major de l’armée régulière. 

Avec l’envoi de mercenaires au Yémen et la manne financière de la contrebande d’or pour le compte des Émirats arabes unis, Hemetti est aussi devenu l’un des hommes les plus riches et puissants du pays.

La rivalité entre Al-Burhan et Hemetti est également personnelle. Les deux officiers se connaissent bien, ils ont tous les deux opéré au Darfour pendant la guerre civile dans les années 2000 puis durant la guerre du Yémen. Et ils sont en concurrence depuis plusieurs années pour récupérer un certain nombre de réseaux de ressources depuis la révolution de 2019.

Tout cela n’a fait qu’envenimer les choses au fil des mois. Avec une accélération durant les négociations politiques. Chaque camp a recruté massivement, notamment parmi la jeunesse du Darfour, la grande région de l’Ouest.

Depuis plusieurs semaines, les deux groupes antagonistes avaient procédé à d’importants mouvements, amenant hommes et matériel dans la capitale. La tension est montée d’un cran, jeudi 13 avril, lorsque les RSF se sont déployées autour d’une base aérienne à Méroé, dans le nord du pays. Les affrontements, deux jours plus tard, pouvaient éclater.

Le conflit, transformé en bataille rangée, a entraîné la fuite de nombreux civils à l'étranger: plus de 600 000 dont 10.000 à 20.000 personnes, surtout des femmes et des enfants, sont passés au Tchad voisin, selon l'ONU.

Pour tenter une sortie de crise, l'ONU plaide pour les propositions de l'Igad.

Ce bloc de l'Afrique de l'Est, auquel appartient Khartoum, réunira lundi à Addis-Abeba les chefs d'Etat ou de gouvernement des quatre pays à la manœuvre sur le dossier soudanais : l'Ethiopie, le Kenya, la Somalie et le Soudan du Sud.




Andrew Preston pour DayNewsWorld