NI GUERRE NI PAIX

 LE SOMALILAND OU LA RESURGENCE 

" D'UN CONFLIT GELE "

Les derniers soubresauts de l'actualité au Haut-Karabakh de novembre 2023 avaient remis sur le devant de la scène le terme de « conflits gelés ». Des conflits qui, par leur durée, leur alternance entre périodes de trêve et d'affrontements, sont bien souvent oubliés ou négligés alors que leur résolution est d’une importance cruciale pour les populations concernées.

Et depuis lundi  01/01/2024 c'est le conflit du Somaliland qui resurgit : 

l’Éthiopie retrouve un accès à la mer Rouge après un accord avec le Somaliland au détriment de la Somalie qui estime sa souveraineté violée.

La République autoproclamée du Somaliland vient en effet d’autoriser, pour 50 ans, Addis Abeba à utiliser le port de Barbera. Au grand dam de Mogadiscio. Le Somaliland, territoire semi-désertique de 175 000 kilomètres carrés dont l’indépendance (en 1991) n’a jamais été reconnue par la communauté internationale, vient d’accorder à l’Éthiopie un accès au golfe d’Aden.

Les deux signataires contre la Somalie

D’une part, le Somaliland a pour ambition de faire du port de Berbera une plateforme maritime régionale sur la rive africaine de la mer Rouge. Ce port est situé sur l’une des routes commerciales les plus fréquentées au monde, menant notamment au canal de Suez. En outre, l’Éthiopie va formellement reconnaître la République du Somaliland.

D’autre part, l’Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique avec 120 millions d’habitants, a bénéficié d’un accès à un port érythréen jusqu’à ce que les deux pays entrent en guerre en 1998-2000 et elle s’est retrouvée sans accès propre à l’issue de ce long conflit. 

Depuis, les Éthiopiens faisaient passer la plupart de leurs échanges commerciaux par Djibouti. Mais toujours en quête d’un autre accès maritime, l’Éthiopie avait acquis 19 % du port de Berbera en 2018, dans le cadre d’un accord depuis tombé en désuétude.

L’accord " ouvrira la voie à la réalisation de l’aspiration de l’Éthiopie à sécuriser son accès à la mer et à diversifier son accès aux ports maritimes ", selon les services du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed. En outre, Addis Abeba louera une base militaire sur la mer Rouge.

L’accord a fortement déplu en Somalie. Le régime de Mogadiscio a rappelé son ambassadeur et a dénoncé " une violation flagrante de sa souveraineté et de son unité ".Les autorités somaliennes ont condamné ce texte jugé "illégal", dénonçant une "agression" éthiopienne ". 

Les islamistes shebab, groupe affilié à al-Qaida en guerre depuis 2007 contre le gouvernement fédéral, ont également condamné l’accord.

L'Ethiopie a assuré que l'accord maritime qu'elle a signé avec la région séparatiste du Somaliland ne transgresse "aucune loi", en réponse à la colère suscitée en Somalie par ce texte jugé "illégal" contre lequel des habitants de la capitale ont manifesté mercredi.

Ce "memorandum d'accord" signé lundi a ravivé les craintes d'un regain de tension entre les deux voisins aux relations historiquement tumultueuses.

Région de 4,5 millions d'habitants qui imprime sa propre monnaie, délivre ses passeports et élit son gouvernement, le Somaliland est en quête de reconnaissance internationale depuis qu'il a proclamé son indépendance en 1991, alors que la Somalie plongeait dans un chaos dont elle n'est toujours pas sortie.

Préoccupation pour la stabilité régionale

L'Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad) - organisation est-africaine dont l'Ethiopie et la Somalie sont membres - a exprimé sa "profonde préoccupation", disant "avoir conscience des implications potentielles pour la stabilité régionale".

Ce qui caractérise ces « conflits gelés » — terme apparu au début des années 1990 pour définir les rébellions séparatistes et les conflits figés de l’aire post-soviétique – est non seulement la durée du conflit, mais aussi la fin ou tout du moins la relative faiblesse des affrontements armés directs entre les parties. Un conflit qui ne cesse pas pour autant puisqu’aucun traité de paix ni aucun accord politique n’a été trouvé. À tout moment donc, les affrontements peuvent reprendre.

Des populations entre guerre et paix

Les « conflits gelés », parce qu’ils peuvent repartir à tout instant, sont sources de nombreuses difficultés pour les populations concernées qui ne vivent ainsi ni en paix, ni en guerre. De manière générale, ils ne font plus, ou peu, de victimes, mais la situation économique de ces territoires est souvent catastrophique.

Le conflit chypriote dure depuis cinquante ans, celui du Sahara occidental aussi. Et la liste des régions et pays où les guerres se poursuivent s’allonge au fil du temps. Cachemire, Ossétie du Sud, Transnistrie, Crimée, Donbass, Somaliland. Face à ces conflits, la communauté internationale semble être à la peine.

Pour toutes les parties au conflit, le coût de la reprise des hostilités peut être supérieur au maintien du statu quo, compris alors comme un mal nécessaire.

Finalement, un " conflit gelé " ne l’est jamais vraiment. " La meilleure analogie serait une rivière gelée, immobile en apparence. Mais sous la couche de glace, le courant reste toujours aussi fort ", relatait Brian Fall,ancien diplomate britannique dans Le Monde.

Et face au silence médiatique et politique qui entoure ces zones de tensions, c'est bien souvent la résurgence des affrontements qui rappelle que la situation n'était, en fait, en rien réglée.




Abby Shelcore pour DayNewsWorld