QUITTER LE MALI EN REPENSANT LA STRATEGIE

 DE DEFENSE DE LA FRANCE DANS LE SAHEL

Face à la détérioration de la relation politique avec Bamako, la France se prépare à un départ forcé de ses soldats du pays et réfléchit à une réorganisation sécuritaire, de concert avec les Européens, pour ériger un cordon sanitaire autour du Mali. Paris et les contributeurs européens de Takuba envisagent de plus en plus sérieusement de se retirer totalement du Malir tout en menant une lutte active contre ces groupes djihadistes et leurs affiliés pour éviter qu’un sanctuaire ne s’installe durablement au cœur du Sahel. L’Élysée a donné quelques précisions à ce sujet.

« D’ici deux à trois semaines », c’est l’échéance indiquée par l’Élysée pour l’annonce d’une décision, dont le principe semble presque déjà acté : « Là où les conditions ne sont pas réunies, il ne faut pas rester », explique un diplomate cité dans la presse française.

Peut-on en effet maintenir l’envoi et les pertes inéluctables de forces armées dans un Mali chaotique dont Jean-Yves Le Drian considère la junte militaire « illégitime » et prenant « des mesures irresponsables » ?

Après l’expulsion des soldats danois de la force Takuba et celle de l’ambassadeur de France ou encore les propos acerbes des dirigeants politiques maliens, français et européens par médias interposés, sans parler des accusations réciproques de mensonge autour de la présence de miliciens russes du groupe Wagner, la tension n’a jamais été aussi forte entre Bamako, Paris et les autres partenaires militaires européens qui interviennent dans le pays.

Les responsables français n’emploient plus que le mot « junte », ajoutant les qualificatifs « illégitime » et « irresponsable », pour désigner les autorités de transition au Mali. « L’argument de la junte, qui réclame cinq ans de plus au pouvoir pour assurer la sécurité ne tient pas », a ainsi expliqué le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, dans la dernière édition du JDD. Ce changement de sémantique date du deuxième coup d’Etat du colonel Goïta, en mai dernier, moment où il a limogé le Président et le Premier ministre civils, les deux principales personnalités sur lesquelles s’appuyait Paris dans sa relation politique

Depuis l’adoption des sanctions économiques en novembre, les autorités maliennes ont, à leur tour, durci le ton à l'égard de Paris. Elles ont d’abord contesté certains survols de leur territoire par la Minusma, la force onusienne, et par les aéronefs français. Elles ont ensuite demandé la révision de l’accord de défense qui lie le Mali à la France, avant de contraindre un détachement danois, qui venait rejoindre la force européenne Takuba, à quitter leur pays.

« Au Mali, la posture de fermeté, affichée par des partenaires importants comme la France, a eu pour effet de renforcer les relations des autorités de transition avec des partenaires alternatifs, comme la Russie », estime une note de l’ONG Crisis Group. Le rôle de la Russie est en effet loin d’être négligeable. Déjà actif en Syrie, en Libye et en Centrafrique, le groupe de paramilitaires Wagner fondé par un proche de Poutine ne cesse depuis décembre dernier de monter en puissance au Mali.


Vers un repli dans les pays voisins ? Le Niger fortement sollicité.

Actuellement, un retrait total du Mali de la force française Barkhane et de la force européenne Takuba est donc sur la table. Les soldats actuellement basés à Ménaka, Gossi, ou encore Gao, la principale base française au Mali, pourraient se replier dans les pays voisins.

Si la France s'est fait à l'idée qu'elle devait quitter le Mali, elle veut cependant continuer de combattre les djihadistes. Un départ du Mali renforcerait aussi le risque de contagion terroriste aux pays de la région, un scénario redouté par ces derniers.

Différents scenarii sur plusieurs mois

D’ores et déjà, Français et Européens réfléchissent à ériger un cordon sanitaire autour du Mali. Le Niger a vocation à devenir le centre de gravité de la présence française dans la bande sahélo-saharienne. Ce pays accueille déjà le Groupement tactique désert dans le cadre du partenariat militaire de combat. Des pays comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal pourraient aussi accueillir d’avantages d’effectifs français. La ministre française des Armées, Florence Parly, s’est d’ailleurs rendu à Niamey mercredi 4 février 2022 au soir pour évoquer avec le président Mohamed Bazoum les différentes options envisageables.

La réduction des effectifs au sol et le renforcement des opérations aériennes, notamment à l’aide de drones, font aussi partie des pistes d’adaptation du dispositif de lutte anti-terroriste au Sahel.

Et plutôt que de recréer une grosse base à l’extérieur du Mali, Paris souhaite accompagner les armées locales par des contingents plus légers. L’opération Takuba, qui rassemblait 750 soldats des forces spéciales de 10 pays européens, va elle aussi se redéployer par petits groupes dans des pays qui en feraient la demande. Quelles que soient les hypothèses retenues, ces manœuvres militaires dans la région s’échelonneront sur plusieurs mois.

Si l’action militaire française, et européenne dans le même mouvement, devrait rester présente au Sahel, elle pourrait également s’étendre à d’autres pays où la menace terroriste progresse. La Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin ou le Sénégal seraient ainsi demandeurs d’un appui supplémentaire, selon les propos tenus par l’Élysée.

« Nouveaux acteurs ».

Le dernier coup d’État militaire au Burkina Faso fragilise encore un dispositif français dans une Afrique de l’Ouest nourrie par des bataillons de trolls et d’activistes anti-français.

« Au Burkina Faso, nous avons condamné ce coup d’Etat et nous souhaitons que l’intégrité du président Kaboré soit préservée, confiait Jean-Yves Le Drian au JDD. Il n’empêche que le colonel Damiba veut poursuivre la lutte contre le terrorisme au sein du G5 Sahel et il importe que les nouveaux acteurs au Burkina entament une transition rapide. »

La condamnation de principe du putsch, en vertu du respect de l’ordre constitutionnel, s’accompagne d’une main tendue aux autorités de transition qui ne sont pas affublées du qualificatif de « junte ».

Selon Crisis Group, les Occidentaux pourront difficilement s’appuyer « sur l’approche rigide mise en place suite au coup d’Etat au Mali » sous peine de connaître les mêmes déboires. L’armée française n’a aucune intention de plier bagage et souhaite poursuivre son partenariat militaire avec les « nouveaux acteurs ». Dimanche, l’état-major de l’armée française a communiqué sur l’opération Laabingol, réalisé entre le 16 et le 23 janvier, aux côtés des forces de défense burkinabè à la demande du président déchu, Roch Kaboré.

 Paris a notamment fourni du renseignement et apporté un important appui aérien, notamment via la flotte de Barkhane, avec le recours à une patrouille d’hélicoptères d’attaque Tigre. Bilan : une soixantaine de terroristes neutralisés. « Nous maintenons le dialogue avec les autorités de transition à travers la mission de défense à Ouagadougou, conclut un officier français. Si elles nous présentent une nouvelle demande de coopération opérationnelle, on l'étudiera. Si on peut et on veut faire, on fera. »

L’heure est donc venue de clarifier collectivement la situation, tout en restant engagé au Sahel contre le terrorisme.

« Au prix de la remise en cause de nos propres mythes, elle consiste à reconnaître lucidement les limites de notre puissance et à en tirer les conséquences pratiques, en tentant d’inventer une nouvelle politique étrangère. », selon un confrère.




Garett Skyport pour DayNewsWorld