COUP D'ETAT AU GABON COMPRENDRE 

CETTE SERIE DE PUTSCHS EN AFRIQUE

Le Gabon est plongé en pleine incertitude depuis ce 30 août 2023. Le président du Centre gabonais des élections (CGE) a annoncé à la télévision la victoire du président Ali Bongo avec 64,27% des suffrages. Puis, quelques minutes plus tard, un groupe de militaires est apparu sur Gabon 24 – dont les studios sont dans la présidence – pour annoncer la fin du régime en place, l’annulation des élections et la dissolution des institutions de la République. Ces hommes disent faire partie des forces de sécurité. Ils déclarent être réunis au sein du CTRI.

Selon leur déclaration, l'organisation des élections n'a pas rempli « les conditions d'un scrutin transparent, crédible et inclusif ». Les putschistes parlent même de « résultats tronqués ». Ils appellent les populations au calme et à la sérénité. Les autres mesures annoncées : la dissolution des institutions, la fermeture des frontières.

Le « coup d’Etat » militaire au Gabon contre le président tout juste réélu, Ali Bongo, mercredi, fait ressurgir une tendance inquiétante en Afrique observée ces dernières années. L’Afrique de l’Ouest connaît une véritable épidémie de putschs. Le Niger le mois dernier, le Mali a ouvert le bal en 2020 suivi par la Guinée en 2021 et le Burkina Faso par deux fois en 2022. Quatre présidents élus (Ibrahim Boubacar Keïta, Alpha Condé, Roch Kaboré et Mohamed Bazoum) ont été destitués par des hommes en uniformes. A l’échelle régional un lien évident existe avec les renversements militaires et populaires survenus dans cinq pays francophones d’Afrique.

L'échec des Etats postcoloniauxou des pseudo-démocraties

Le fil rouge qui les unit est l'échec manifeste des Etats postcoloniaux, modelés sous une influence marquée de la France, et ayant traversé deux phases historiques distinctes : une autoritaire et une autre qui se voulait démocratique, ou plus justement, pseudo-démocratique.

Lors de l'accession des anciennes colonies françaises à l'indépendance en 1960, le général de Gaulle et son " Monsieur Afrique ", Jacques Foccart, ont établi des régimes destinés à maintenir influence française derrière la façade de souveraineté

Le Gabon est une illustration caricaturale de cette situation : Jacques Foccart a personnellement choisi Omar Bongo, le patriarche, lorsque le premier président gabonais, Léon Mba, a appris qu'il était atteint d'un cancer en 1965. À l'âge de 30 ans, Bongo était le directeur de cabinet du président : adoubé par Foccart, il a dirigé le Gabon jusqu'à son décès en 2009, date à laquelle son fils lui a succédé et a conservé le pouvoir sans partage jusqu'au récent coup d'État. 

La France a orchestré les ficelles du modèle autoritaire. Par la suite, après la chute du mur de Berlin, François Mitterrand a conditionné l'assistance française à la démocratisation des régimes, mais ce subterfuge a surtout permis aux autocrates d'hier de prolonger leur règne. Des figures telles que les Bongo père et fils, ou Paul Biya, le président inamovible du Cameroun, illustrent ces pseudo démocraties Des démocraties sans alternance, sans contre-pouvoirs, sans frein à la corruption.

Au Sahel, du Mali,  Burkina Faso , Niger et maintenant au Gabon le divorce d'avec la France ou plus largement de la suprématie occidentale. est bel et bien consommé, avec nombre de pays africains influents.

Conflits internes...et  populations en souffrance économique

Mais ces changements en cours dans cette partie francophone de l’Afrique résultent la plupart du temps de conflits internes à ces démocraties très balbutiantes, quand elles ne sont pas purement et simplement confisquées en même temps que les ressources nationales par des clans familiaux corrompus. Dans toute la région , il y a un véritable discrédit de la classe politique, un discrédit largement entraîné par la tradition d’affairisme et de corruption entre les classes politiques, commerciales et militaires influentes à la tête de ces Etats .

Le cas du Gabon et de la dynastie Bongo est révélateur. La manière dont le père Omar a régné pendant 42 ans jusqu'à sa disparition en 2009, suivi de la prise de pouvoir par son fils Ali avec le soutien de la France, , montre à quel point les condamnations de Paris sont à géométrie variable. Chacune des élections d'Ali Bongo a été entachée de fraudes massives et de répressions sanglantes (en 2009 et en 2016). D'ailleurs lors des dernières élections, le gouvernement Bongo a mis le pays sous cloche à partir du 26 août : internet et les communications téléphoniques étaient coupés, les frontières fermées, et un couvre-feu imposé. Les Gabonais étaient ainsi isolés et à la merci du gouvernement.

Autre axe majeur de la situation sahélienne, c’est l’insurrection djihadiste 

Au Niger, selon le général Abdourahamane Tiani, cité dans le communiqué de la médiation nigeriane, les militaires ont renversé le président Bazoum "en raison d'une menace imminente qui aurait affecté non seulement la République du Niger, mais aussi le Nigeria". Le nouvel homme fort du Niger avait justifié le coup d'Etat par "la dégradation sécuritaire" dans le pays, miné par la violence de groupes jihadistes comme le Mali et le Burkina voisins, également dirigés par des militaires et qui ont affiché leur solidarité avec Niamey.

Que l’origine de ces mouvements viennent de l’extérieur, précisément de l’islam « wahhabite » en provenance du Golfe persique ou que ces insurrections soient liées à des revendications locales, les divers mouvements djihadistes se renforcent en grande partie sur des bases économiques mais aussi par l’instrumentalisation des conflits locaux et de la perte de confiance en l’Etat central. Les recrutements sur la base d’endoctrinement théologique restent mesurés.

Ensuite, l’instauration de « proto-Etats » ou de « gouvernances parallèles » principalement dans les zones rurales permet à ces mouvements de subsister et de s’implanter durablement. Ils imposent un contrôle sur les marchés et les chefferies locales, prélèvent l’impôt, ouvrent des écoles coraniques. Cette domination des populations est paradoxale, car ils font régner une terreur ambiante tout en restaurant une partie des services sociaux .:

 Le " dégagisme "

Chaque putsch de ces derniers mois a ses spécificités, du Mali au Niger, en passant par le Burkina et aujourd’hui le Gabon. Mais il y a une constante : le " dégagisme " à l’œuvre dont profitent des  militaires et des puissances internationales et qui fait de la France une victime collatérale de ces bouleversements.

Les forces militaires locales et nationales gabonaises ont alors décidé qu'il était temps de prendre leur destin en main et de contribuer à façonner l'avenir du pays. Pour ces nouvelles générations en souffrance économiques les militaires s’offrent en sauveurs.

Ce que les Gabonais célèbrent dans la rue n’ est pas l’arrivée de l’armée au pouvoir, mais bien la fin d’un régime politique qui les a appauvris. Pays grand comme la Grande-Bretagne, avec une petite population, le Gabon est un producteur de pétrole. Mais les richesses naturelles profitent à une petite élite. Plus de 40 % des habitants vivent sous le seuil de la pauvreté. Les attentes sont donc élevées.

Dans ces conditions, faisait observer le penseur d’origine camerounaise Achille Mbembe dans Le Monde, "les coups d’état apparaissent comme la seule manière de provoquer le changement, d’assurer une forme d’alternance au sommet de l’État, et d’accélérer la transition générationnelle ".


Alize Marion pour DayNewsWorld