LA VISITE CONTESTEE DE MOHAMMED BEN SALMAN  LE PRINCE HERITIER D'ARABIE SAOUDITE EN FRANCE

"L'opération spéciale » de la Russie en Ukraine a décidément changé bien des choses. Quatre ans après l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, Mohammed Ben Salmane, le prince héritier d'Arabie Saoudite, un temps mis au ban de la communauté internationale effectue cette semaine une tournée en Europe. 

Il est arrivé en Grèce mardi 26 juillet 2022 pour une visite de deux jours avant une seconde étape en France, où il a été reçu jeudi à l'Elysée par Emmanuel Macron pour un dîner de travail.

Cette rencontre signe un peu plus la « réhabilitation » du prince héritier saoudien, moins de deux semaines après la visite de Joe Biden en Arabie saoudite - et ce fameux « check poing » entre les deux hommes, qui a valu bien des critiques au président américain, lui qui avait pourtant déclassifié un rapport accablant sur la responsabilité du prince héritier dans l'assassinat de Jamal Khashogghi. L’enquêteur gênant pour la famille régnante avait été sauvagement étouffé puis découpé à la scie au consulat saoudien d’Istanbul (Turquie), par un commando lié au prince héritier, selon l’enquête de la CIA. Depuis, MBS, véritable homme fort du royaume, avait été quasi mis en quarantaine par les capitales.

C'était sans compter la guerre en Ukraine qui a remis les monarchies du Golfe au centre du jeu pétrolier déstabilisé par les sanctions occidentales contre Moscou. La « realpolitik froide » de cette venue à Paris prévaut sur les principes moraux. Le journaliste Georges Malbrunot, spécialiste de la monarchie, précise ainsi sur franceinfo que le Royaume est plus que jamais « incontournable et l'est encore plus depuis la crise ukrainiennne. »,

Emmanuel Macron avait d'ailleurs été le premier dirigeant occidental à se rendre en Arabie Saoudite en décembre dernier. Le président français avait dû faire un numéro d'équilibriste en évoquant la nécessité de parler au prince héritier qui représente le premier pays du golf, acteur incontournable dans la région, tout en précisant que dialoguer ne voulait pas dire être complaisant

.La guerre en Ukraine et l'enjeu pétrolier

Il y a en premier lieu le volet lié aux questions énergétiques. L’UE a besoin de la coopération des pays du Golfe en matière énergétique. Ce dossier a déjà été au coeur de la visite de Mohammed ben Zayed, président des Emirats arabes unis, lors de son passage à Paris le 18 juillet. Les Occidentaux veulent convaincre Riyad d'ouvrir les vannes du pétrole, dont le royaume est l'un des principaux producteurs, afin de faire baisser les prix. Jusqu'ici, le dirigeant saoudien a refusé d'accroître la production pour respecter son engagement vis-à-vis de l'OPEP, répétant que son pays était au maximum de ses capacités avec une faible marge de progression. Les Européens cherchent également à trouver d’autres sources d’approvisionnement à défaut d'une augmentation de la production.

Georges Malbrunot avertit cependant « On risque d'être déçu parce que l'Arabie saoudite est tenue par certains engagements pris dans le cadre de l'Opep +, dans laquelle se trouve la Russie de Vladimir Poutine et avec laquelle l'Arabie saoudite entretient de bonnes relations. (...) Surtout, l'Arabie saoudite n'a pas assez investi ces dernières années dans ses structures de production de pétrole pour pouvoir faire passer sa production de 10 millions de barils par jour à 13 millions », assure-t-il.

Dossiers du Liban et de l'Iran

Un autre dossier particulier entre la France et l'Arabie saoudite concerne le Liban plongé dans une. crise économique et financière dramatique. Paris souhaite notamment une plus grande implication de l’Arabie au Liban . L'Iran est également un point-clé: le nucléaire iranien, à l'heure où les pourparlers entre les grandes puissances et l'Iran pour relancer l'accord de 2015 sont au point mort. L'Arabie saoudite, grand rival de l'Iran, craint que Téhéran ne devienne une puissance nucléaire et s'inquiète de plus en plus de ses activités dans la région. Aussi les Saoudiens cherchent-ils à renforcer le partenariat politique avec leurs principaux alliés et bénéficier de leur soutien à un moment où les inquiétudes sur l’état d’avancement du programme nucléaire iranien sont réelles.

Des enjeux économiques

A cela viennent s'ajouter des enjeux économiques pour les deux pays. La France entend promouvoir son savoir-faire dans le Royaume qui est engagé dans une course contre la montre pour réussir sa diversification. L’ambition est de construire une « nouvelle Arabie » plus prospère, plus libérale, plus connectée et ouverte au monde. Les entreprises françaises souhaitent donc bénéficier des nombreuses opportunités du plan Vision 2030, qui a pour objectif de préparer le pays à l’après pétrole à travers la promotion de nouveaux secteurs de croissance. L’expertise française est appréciée; c’est notamment le cas du projet d’ Al-’ Ula, site nabatéen classé au patrimoine mondial de l’Unesco dont la valorisation et le développement ont été confiés à des acteurs français. 

De son côté l’Arabie Saoudite entend investir dans le plan de relance économique français. L’Arabie est en effet une grande puissance financière. Le Public Investment Fund saoudien a pour ambition de devenir le plus fonds souverain du monde et gérer plus de 2 000 milliards de dollars d’ici 2030 grâce aux revenus générés par les hydrocarbures et les privatisations. Les institutions financières du pays ainsi que les groupes privés sont intéressés d’investir dans des groupes français dans le cadre du plan de Relance.

Quid des droits de l'homme ?

Reste que l'image de la France peut en prendre un coup : selon Abdullah Alaoudh, directeur pour la région du Golfe de l'organisation Democraty for the Arab World Now fondée par Jamal Khashoggi, cette venue en France est « un deshonneur ». La réaction, ce mercredi, d’Amnesty International, estimant que « la France ferme les yeux » sur « toutes les violations de droits humains », montre que le pari est risqué. Surtout que la visite, la semaine dernière, du président des Émirats arabes unis, Mohammed ben Zayed, avait déjà soulevé un tollé.

Vis-à-vis de ces deux dirigeants du Golfe, les diplomates de l’Élysée préfèrent mettre l’accent sur la dynamique « d’ouverture », dans laquelle ils engagent leur pays, plutôt que sur les aspects répressifs des libertés...




Jaimie Potts pour DayNewsWorld